« Poubelle de Babel »

16 août

II y a tout de même certains jours où j’ai envie de mettre tous les livres à la poubelle, je dis bien : tous, et qu’on n’en parle plus ! Ça serait l’envers de la bibliothèque de Babel : la poubelle de Babel, sans doute la même chose. J’ai accumulé tellement de choses que je n’en viendrai jamais à bout ! Encore faut-il tenir compte, dans le compte, de tous les livres que j’ai vendus par nécessité dans les années 1968-1970 (des centaines), de ceux qui ont été volés dans la petite pièce de la rue Crébillon (la plupart dédicacés, un bon fond de « modernité »), de ceux que j’ai quasiment donnés au type qui était venu débarrasser le grenier de La Chapelle-Montligeon, de ceux dont j’ai dû me débarrasser récemment, quand il a fallu aménager la petite chambre pour A., de ceux que j’ai donnés ici à la bibliothèque municipale (des biographies, il n’y a guère que ça qui les intéresse), et de ceux franchement répugnants parce que tout à fait moisis (dedans ou dehors) après un long séjour à la cave. En tout certainement un bon millier. On achète un livre 150 francs, le lendemain il ne vaut plus que un ou deux francs. Pour certains, mais très rares, on peut les mettre à la cave, bien enveloppés ; comme de bonnes bouteilles, et attendre qu’ils se bonifient : on les fourguera à un marchand d’introuvables ou d’éditions originales. Certains des livres qui sont ici dans le garage pourront rapporter quelques centaines de francs dans dix ou vingt ans. Il n’empêche, quand je consulte les catalogues d’ancien que j’ai conservés (la plupart de Sylvain Goudemare), je me dis : pourquoi n’avoir pas lu Le Collage, de Paul Alexis, 1883, Les Ogresses, de Paul Arène, 1891, comment accepter de connaître si mal Charles Barbara, Jules Bois, Henry Céard même (Une belle journée est loin d’être négligeable), ou encore L’Introduction a l’Etude de la Stratégie littéraire, de Fernand Divoire, 1912, Les Hantises, d’Edouard Dujardin,1886, Les Pharisiens, de Georges Darien, 1891, La Sanglante ironie, par Rachilde, 1891, Le Tutu de Princesse Sapho (qui dissimulerait Genonceaux lui-même), 1891, etc ? (…)

Daniel Oster
Rangements, POL, 2001, p.73