Chambon, Jean-Pierre

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Jean-Pierre Chambon vit et travaille à Grenoble. Il a publié Evocation de la maison grise (Le Verbe et l’Empreinte, 1981), Matières de coma (Ubacs, 1984), Les Mots de l’autre (en collaboration avec Charlie Raby, 1986), Le Corps est le vêtement de lâme (Comp’Act, 1990), Le Territoire aveugle (Gallimard, 1990), Fragments d’épreuves (Le Verbe et l’Empreinte, 1992), Le Roi errant (Gallimard, 1995), Un chant lapidaire (Voix d’encre,1995). Des poèmes de lui ont été traduits en espagnol, italien, russe, polonais, hongrois, bulgare, arabe. Il a obtenu le prix international de poésie Yvan Goll 1996. Il travaille régulièrement avec des photographes et des peintres et co-anime la revue Voix d’encre.

Récemment apparu au premier plan, Jean-Pierre Chambon, né en 1953, a fait partie d’un mouvement, constitué autour de la NRF, qui, sans s’affirmer telle, constitue une sorte d’école du nouveau lyrisme. Le souci de retourner à des rythmes récemment cassés par l’expérimentation formaliste et par la provocation telquellienne, s’accompagne dun recours à l’image poétique traditionnelle. Très intériorisée, sa poésie parle d’une relation à la fois sereine et tendue avec le versant caché du monde perceptible.

IN : 120 poètes français daujourdhui.1992
Montpellier. Maison du livre et des écrivains

Une oeuvre mangée aux vers

Jean-Pierre Chambon est avare de confidences, dès lors quil sagit de parler de lui. On sait cependant quil est né en 1953 à Grenoble, où il vit toujours. Il coanime avec le Montilien Alain Blanc la revue (et les éditions) Voix dEncre. Par ailleurs, il est rédacteur en chef de Périphériques, le trimestriel d’informations culturelles de la Ville de Saint-Martin-dHères.

 » Découvert  » par l’éditeur chartrousin Marc Pessin (éditions Le Verbe et lempreinte) qui publia son premier ouvrage, Jean-Pierre Chambon est l’auteur dune oeuvre, exclusivement poétique, qui comporte à ce jour huit recueils, dont Matières de coma (Ubacs, 1983), Le Territoire aveugle (Gallimard, 1990), Le Corps est le vêtement de l’âme (CompAct, 1990) et Fragments d’épreuves (Le Verbe et l’empreinte, 1992). Les éditions Voix d’Encre s’apprêtent à publier, début décembre, Un Chant lapidaire, porfolio qui rassemble une série de poèmes de l’auteur et des photographies du Grenoblois Jacques Milan. Passionnée de poésie, jean-Pierre Chambon ? C’est trop peu dire. Une existence mangée aux vers !

Jean-Louis Roux
IN : Info Grenoble. 14/11/1995.

La parole nomade de Jean-Pierre Chambon

Assez ! voici la punition. – En marche ! Le Roi errant, le nouvel ensemble de poèmes de Jean-Pierre chambon – son septième livre et son second chez Gallimard après Le Territoire aveugle en 1990 -, est constitué dun maillage de mouvements et de dérives continus. Les mots, qui naissent à partir de tremblements sur l’eau, de traces dans le sable, d  » instant(s) qui étincelle(nt) « , matérialisent le lent cheminement de celui  » qui ne convoîte plus rien sur la terre «  mais que  » chaque pas ancre plus profondément / en soi « .

Mais quel est-il  » ce grain oublié dans le crible du ciel / parmi la meute hurlante «  ? Il est monarque déchu. Il est guerrier sachant quil ne possède  » de royaume / que cet espace incessant « . Il est passant, il est passeur qui va de déserts en châteaux, qui glisse sur les fleuves ou sur les chemins de halage, qui frôle les lisières, qui se hisse vers le col d’où jaillira lillusion  » d’avoir appartenu au ciel « , qui échoue dans une ancienne carrière comme un tombeau en forme de coeur en pleine forêt.

Oui, quel est-il ce rôdeur qui médite  » avant l’embouchure / au seuil de la perte et de l’oubli «  ? Il est le Déchiré, dont le  » bonheur est d’aller «  et la  » malédiction / De ne pouvoir établir (sa) demeure « . Il est l’Ecartelé aimanté tout à la fois par  » les îles et les étoiles «  et par  » le flot noir « . Il est l’habitant de  » deux mondes «  à l’image des  » deux / parties inconciliables / d’une même totalité « .

Il est Homme, il est Poète. Il est homme-poète, seul jumelage par lequel se reconstitue l’unité dune existence sans cesse ravinée. Nul doute, en tout cas, avec Jean-Pierre Chambon : progressant par tableautins, par estampes verbales, privilégiant la fluidité et tout ce qui a trait au regard, il prouve qu’être et dire procèdent de la même nécessité, de la même lutte. Sa parole nomade établit la fusion entre l’immédiateté de la pensée et  » le pays d’ailleurs « .

Et si le Roi errant se clôt sur le mot  » inaccessible « , chacune des pages parvient cependant à désigner, parmi de  » faibles éclats fulgurants « , les lieux et les circonstances ou  » soudain (…) recommence le monde « .

Ici l’écriture rejoindrait les Ecritures et l’auteur d  » Une Saison en enfer  » – à qui nous ne nous référons pas par hasard sans guillemets pour ouvrir et boucler ces lignes – reste compagnon de (dé)route. En témoigne parallèlement l’implacable  » Discours du silence «  que Jean-Pierre Chambon vient de publier dans la revue Aube magazine pour saluer  » Rimbaud à Aden « . A noter encore que Chambon co-dirige, de Grenoble où il est né et où il vit, la revue Voix d’Encre, enseigne à laquelle paraît ces jours-ci  » En un pays de ruine et de lumière «  d’un autre Dauphinois, Hervé Planquois. Un recueil à découvrir, justement, dans le prolongement du fascinant Roi errant, sur fond de causse, d’érosion, de  » sourd cri sous l’iris « . Tout  » cela (qui) s’appelle l’éphémère, / ce passage d’une rive à lautre « . On ne part pas. – Reprenons les chemins d’ici…

Didier Pobel
IN : Le Dauphiné libéré – Vaucluse matin. 4/12/1995.

Jean-Pierre Chambon : le roi, son château et la folle du logis

Jean-Pierre Chambon, puisqu’il faut en venir aux faits, débuta sa carrière littéraire avec un ouvrage intitulé Evocation de la matière grise (éditions Le Verbe et l’empreinte, 1981) : nous y voilà. L’auteur y rêvait, en des proses à l’obstination tranquille et insidieuse, d’une demeure sans doute plus fictive encore que ne l’étaient ses occupants.  » Mon logement est immatériel. J’habite tout entier dans ma tête «  : tels étaient d’ailleurs les ultimes mots du livre. J’entends que si ladite maison nétait que pure chimère, à tout le moins y eut-il quelqu’un pour en bâtir la légende (et y résider en songe, ce qui n’est déjà pas si mal). Presque quinze ans plus tard, Chambon n’a, en somme, pas changé. Son dernier recueil, Le Roi errant, prouve de nouveau qui’l ne prise en rien tant que de prêter sa voix aux fantasmagories dont l’emblème de la Maison (en occurrence, il s’agit plutôt dun château) constitue l’un des révélateurs les mieux appropriés.

Mais prêter sa voix n’est encore rien. Car enfin, est-il exaltation plus grande, plus trouble aussi, que de parler par la bouche d’un autre ? Et a fortiori, lorsque cet autre n’est que le produit de notre fantaisie. De ces êtres illusoires, Le Roi errant n’est certes pas exempt. Monarque vieillissant qui compose ses mémoires, passeur aux allures de nautonier Charon qui accumule les doutes, riche marchand qui dicte ses dernières paroles à l’instant d’atteindre au trépas : Jean-Pierre Chambon se livre à la confession dont le pressentiment de la mort s’avère, comme on le voit, le socle essentiel. Laissant ses  » personnages  » revendiquer la paternité de ses propos, l’auteur peut tranquillement faire remonter de leurs soubassements les mots si ce n’est les plus inavouables, du moins les plus déconcertants, tant celui qui écrit sait bien qui’ls sont issus de lui et, tout à la fois, qu’ils ne lui  » ressemblent  » pas.

Toujours au bord de la légende et du récit mythologique, les poèmes de Chambon constituent autant de  » fictions  » réunies autour de la figure du Destin… Usant d’une lenteur souveraine et pour ainsi parler  » empoisonnante « , le poème nourri de romantisme insinuant (voire d’un soupçon de symbolisme fantastique), installe une atmosphère si riche qu’on a parfois le sentiment d’y manquer d’air. L’univers y est en quelque sorte irrespirable et comme au bord de la folie, parce que tout y  » parle  » dans un entrelacs de signes étouffant et dans un jeu d’un déchirement sans fin.

Mais une telle abondance d’émotions successives et d’intarissables descriptions ne saurait tromper : elle débouche le plus souvent sur une dernière notation aussi allusive que laconique. L’éloquence aboutit au silence ; l’essence du poème réside dans ce qu’il ne dit pas. Et l’on entrevoit que le Roi errant du livre n’est peut-être, en dernière instance, qu’une métaphore du poète : souverain de sa langue, mais harcelé à perpétuité par le besoin vital d’en remettre en cause tous les fondements… Condamné à ne régner à demeure que sur ce qui ne demeure pas : voilà sa demeure ! Celle de Jean-Pierre Chambon, en tous les cas, excite grandement notre curiosité.

Jean-Louis Roux
IN : Info Grenoble. 14/11/95.

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Nuée de corbeaux dans la bibliothèque

La lumière qui vient mourir aux vitres

éclaire d’une autre manière : l’arrondi

du fauteuil, le globe de la lampe,

la boiserie des rayonnages, les feuilles

blanches sur la table, tout paraît à la fois

plus intense et suspendu, comme si

les choses se livraient pleinement

au moment même où elles allaient cesser

d’être tout à fait séparées, juste avant

qu’on se décide enfin à allumer une lampe.

C’est l’heure favorite, l’heure ambiguë,

l’heure propice de l’inquiétude et de la joie

mêlées – c’est aussi l’heure des corbeaux.

En voici justement un sur le cèdre du parc,

qui crie, perché parmi le bleu assombri,

fixant à l’arbre si noble un sceau d’infamie.

Leopardi attribuait aux oiseaux le privilège

inné du rire. Dans le cas du corbeau, il paraît

difficile de le suivre, tant le croassement

semble une plainte inconsolable, ou pire,

le rappel ironique de la désillusion finale.

Et bientôt, mais de l’autre côté, en arrive

toute une bande, venue se poser autour

de moi dans la granulation grise de la lumière.

Je reconnais d’abord le corbeau magnifique

d’Edgar Poe claquant du bec sa ritournelle

fatidique. Puis viennent les corbeaux de Li

Po, discrets et mélancoliques, les messagers

saturniens de Rimbaud, et implacables

nécrophages, ceux de Villon et de Trakl.

Je distingue aussi parmi la nuée virtuelle

le corbeau goguenard de Pouchkine, celui

déprimant de Majnûn, et repéré à son vol

frénétique, le corbeau terrible de Ted Hughes.

J’aperçois encore le corbeau de Claudel,

à l’oeil énorme. Celui de Raymond Carver

passe dans un frissonnement tout proche,

celui de Kenneth White laisse un hiéroglyphe

sur la neige. Il y a encore l’oiseau celte,

l’augure romain, la corneille tournoyant

à l’aplomb de l’âpre paysage anatolien

et dont un derviche aura psalmodié le nom…

Il y a…Il y a…La nuée s’estompe, à force

de fractionnements infinitésimaux. Seul

persiste le corbeau de l’arbre, le corbeau

de personne, qui grince une dernière fois

avant de prendre son essor au-dessus

de la ville, vers le ciel déchiré de lueurs.

Jean-Pierre Chambon
IN : Théodore Balmoral ; 22-23 .1995.

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