Le vendredi 05 mars 2010 à 18h30
La Médiathèque municipale Jacques Thyraud vous invite à rencontrer Valérie Rouzeau.
Valérie Rouzeau évoquera la figure de Sylvia Plath
dont elle vient de traduire « Ariel » publié aux éditions Gallimard,
et lira des poèmes de « Quand je me deux », recueil paru en octobre 2009
aux éditions Le temps qu’il fait.
L’INVITATION A ROMORANTIN… PAR CLAUDE VERCEY
DANS LA REVUE POETIQUE DECHARGE
VOIR LE LIVRET DE PRESENTATION … édité par la médiathèque
VOIR LA COUVERTURE SERIGRAPHIEE … à la médiathèque
VALERIE ROUZEAU SUR LIBERATION.FR
VALERIE ROUZEAU SUR TELERAMA.FR
VALERIE ROUZEAU A ROMORANTIN… SUR LE TIERS LIVRE.NET DE FRANCOIS BON
01/10 : Rencontre avec Maurice Mourier, Sylvie Garcia, Samuel Tastet et Maria Mikhaylova autour des Editions EST : dans la presse / Thomas Scotto, auteur, rencontre les élèves de trois classes de Romorantin / Musique à l’étage : le luth par François Bonnet / Les livres du jeudi : Marie-Sabine Roger, « La tête en friche ».
02/10 : Sylvain Victor, auteur et illustrateur pour la jeunesse, rencontre les élèves de Romorantin-Lanthenay / Projection « La disparition des abeilles : la fin d’un mystère », suivie d’un débat : dans la presse / Exposition des encres de Maria Mikhaylova / Musique à l’étage : les cornemuses : dans la presse
03/10 : Exposition « Muséum » de Frédéric Clément : dans la presse / Rencontre avec Valérie Rouzeau : extrait vidéo / Musique à l’étage : le hautbois et le cor anglais / Printemps de la photographie (dans la presse) : Marie Ozanne (dans la presse) et Olivier de Chappedelaine (dans la presse) : voir aussi/ Les livres du jeudi : « La délicatesse » de David Foenkinos / « Le printemps des familles », organisé par Batiss’Caf : lecture d’albums et écoute musicale : Raconte encore, RAM, Heure du conte et Bébés lecteurs.
04/10 : Exposition « Le pays où le ciel est toujours bleu : Laurent Mazuy et Julien Brunet : dans la presse/ Ateliers slam par la Meute – Slam 37 / Projections et kamishibaï pour les enfants / Rencontre avec Marie Rouanet, écrivaine / Musique à l’étage : l’accordéon chromatique par David Rivière, accordéoniste des Pommes de ma douche.
05/10 : Soirée Rêves urbains à la Pyramide / Traces : exposition de peintures par l’association ARTEC / Musique à l’étage : L’ orgue Hammond par Bruno Denis
06/10 : Exposition « La fabrication d’un livre » dans le cadre du projet Goûter-Santé / Michel le mouton, spectacle des élèves de M. Brinas / Exposition « Les boîtes à douceur », et remise du livre « Rendez-vous pas n’importe où » aux élèves (suite de la rencontre avec Thomas Scotto en janvier)
09/10 : Rencontre et lecture des poèmes d’Adonis Brunet dans le cadre des « Livres du jeudi »
10/10 : Lecture de « La Demande » de Michèle Desbordes par Guilaine Agnez / Lecture de « Chouquette » par l’Atelier 360° dans le cadre de la Semaine bleue / Les livres du jeudi : La littérature irlandaise et « La mer », de John Banville
11/10 : Conférence de Charles Tobermann « Ecouter le cinéma : la musique de film » / Spectacle pour les enfants « C’est beau un crapaud » par Guilaine Agnez / Mois du film documentaire : « Parures pour dames » en présence de Nathalie Joyeux / Les livres du jeudi : La philosophie de la marche / Soirée-lecture avec Jean Hugues Malineau et Julia Chausson
12/10 : Concert/lecture, Chopin-Schumann par Catherine Gauthier et le duo Lusigando piano – violoncelle (Bernadette Burgos et Vincent Daguet) : le livret
Rencontre avec Bernard Noël, poète, et Jean-Michel Marchetti, peintre.
Autour du livre d’artiste « Du Jardin d’Encre » édité par la médiathèque.
Poème inédit et lecture de Bernard Noël.
Encres et performance de Jean-Michel Marchetti.
Dans la revue « Décharge » n°145 à paraître : un article de Jacques Morin
www.dechargelarevue.com
Jean-Pierre Chambon vit et travaille à Grenoble. Il a publié Evocation de la maison grise (Le Verbe et l’Empreinte, 1981), Matières de coma (Ubacs, 1984), Les Mots de l’autre (en collaboration avec Charlie Raby, 1986), Le Corps est le vêtement de lâme (Comp’Act, 1990), Le Territoire aveugle (Gallimard, 1990), Fragments d’épreuves (Le Verbe et l’Empreinte, 1992), Le Roi errant (Gallimard, 1995), Un chant lapidaire (Voix d’encre,1995). Des poèmes de lui ont été traduits en espagnol, italien, russe, polonais, hongrois, bulgare, arabe. Il a obtenu le prix international de poésie Yvan Goll 1996. Il travaille régulièrement avec des photographes et des peintres et co-anime la revue Voix d’encre.
Récemment apparu au premier plan, Jean-Pierre Chambon, né en 1953, a fait partie d’un mouvement, constitué autour de la NRF, qui, sans s’affirmer telle, constitue une sorte d’école du nouveau lyrisme. Le souci de retourner à des rythmes récemment cassés par l’expérimentation formaliste et par la provocation telquellienne, s’accompagne dun recours à l’image poétique traditionnelle. Très intériorisée, sa poésie parle d’une relation à la fois sereine et tendue avec le versant caché du monde perceptible. IN : 120 poètes français daujourdhui.1992 Une oeuvre mangée aux vers Jean-Pierre Chambon est avare de confidences, dès lors quil sagit de parler de lui. On sait cependant quil est né en 1953 à Grenoble, où il vit toujours. Il coanime avec le Montilien Alain Blanc la revue (et les éditions) Voix dEncre. Par ailleurs, il est rédacteur en chef de Périphériques, le trimestriel d’informations culturelles de la Ville de Saint-Martin-dHères. » Découvert » par l’éditeur chartrousin Marc Pessin (éditions Le Verbe et lempreinte) qui publia son premier ouvrage, Jean-Pierre Chambon est l’auteur dune oeuvre, exclusivement poétique, qui comporte à ce jour huit recueils, dont Matières de coma (Ubacs, 1983), Le Territoire aveugle (Gallimard, 1990), Le Corps est le vêtement de l’âme (CompAct, 1990) et Fragments d’épreuves (Le Verbe et l’empreinte, 1992). Les éditions Voix d’Encre s’apprêtent à publier, début décembre, Un Chant lapidaire, porfolio qui rassemble une série de poèmes de l’auteur et des photographies du Grenoblois Jacques Milan. Passionnée de poésie, jean-Pierre Chambon ? C’est trop peu dire. Une existence mangée aux vers ! Jean-Louis Roux La parole nomade de Jean-Pierre Chambon Assez ! voici la punition. – En marche ! Le Roi errant, le nouvel ensemble de poèmes de Jean-Pierre chambon – son septième livre et son second chez Gallimard après Le Territoire aveugle en 1990 -, est constitué dun maillage de mouvements et de dérives continus. Les mots, qui naissent à partir de tremblements sur l’eau, de traces dans le sable, d » instant(s) qui étincelle(nt) « , matérialisent le lent cheminement de celui » qui ne convoîte plus rien sur la terre « mais que » chaque pas ancre plus profondément / en soi « . Mais quel est-il » ce grain oublié dans le crible du ciel / parmi la meute hurlante « ? Il est monarque déchu. Il est guerrier sachant quil ne possède » de royaume / que cet espace incessant « . Il est passant, il est passeur qui va de déserts en châteaux, qui glisse sur les fleuves ou sur les chemins de halage, qui frôle les lisières, qui se hisse vers le col d’où jaillira lillusion » d’avoir appartenu au ciel « , qui échoue dans une ancienne carrière comme un tombeau en forme de coeur en pleine forêt. Oui, quel est-il ce rôdeur qui médite » avant l’embouchure / au seuil de la perte et de l’oubli « ? Il est le Déchiré, dont le » bonheur est d’aller « et la » malédiction / De ne pouvoir établir (sa) demeure « . Il est l’Ecartelé aimanté tout à la fois par » les îles et les étoiles « et par » le flot noir « . Il est l’habitant de » deux mondes « à l’image des » deux / parties inconciliables / d’une même totalité « . Il est Homme, il est Poète. Il est homme-poète, seul jumelage par lequel se reconstitue l’unité dune existence sans cesse ravinée. Nul doute, en tout cas, avec Jean-Pierre Chambon : progressant par tableautins, par estampes verbales, privilégiant la fluidité et tout ce qui a trait au regard, il prouve qu’être et dire procèdent de la même nécessité, de la même lutte. Sa parole nomade établit la fusion entre l’immédiateté de la pensée et » le pays d’ailleurs « . Et si le Roi errant se clôt sur le mot » inaccessible « , chacune des pages parvient cependant à désigner, parmi de » faibles éclats fulgurants « , les lieux et les circonstances ou » soudain (…) recommence le monde « . Ici l’écriture rejoindrait les Ecritures et l’auteur d » Une Saison en enfer » – à qui nous ne nous référons pas par hasard sans guillemets pour ouvrir et boucler ces lignes – reste compagnon de (dé)route. En témoigne parallèlement l’implacable » Discours du silence « que Jean-Pierre Chambon vient de publier dans la revue Aube magazine pour saluer » Rimbaud à Aden « . A noter encore que Chambon co-dirige, de Grenoble où il est né et où il vit, la revue Voix d’Encre, enseigne à laquelle paraît ces jours-ci » En un pays de ruine et de lumière « d’un autre Dauphinois, Hervé Planquois. Un recueil à découvrir, justement, dans le prolongement du fascinant Roi errant, sur fond de causse, d’érosion, de » sourd cri sous l’iris « . Tout » cela (qui) s’appelle l’éphémère, / ce passage d’une rive à lautre « . On ne part pas. – Reprenons les chemins d’ici… Didier Pobel Jean-Pierre Chambon : le roi, son château et la folle du logis Jean-Pierre Chambon, puisqu’il faut en venir aux faits, débuta sa carrière littéraire avec un ouvrage intitulé Evocation de la matière grise (éditions Le Verbe et l’empreinte, 1981) : nous y voilà. L’auteur y rêvait, en des proses à l’obstination tranquille et insidieuse, d’une demeure sans doute plus fictive encore que ne l’étaient ses occupants. » Mon logement est immatériel. J’habite tout entier dans ma tête « : tels étaient d’ailleurs les ultimes mots du livre. J’entends que si ladite maison nétait que pure chimère, à tout le moins y eut-il quelqu’un pour en bâtir la légende (et y résider en songe, ce qui n’est déjà pas si mal). Presque quinze ans plus tard, Chambon n’a, en somme, pas changé. Son dernier recueil, Le Roi errant, prouve de nouveau qui’l ne prise en rien tant que de prêter sa voix aux fantasmagories dont l’emblème de la Maison (en occurrence, il s’agit plutôt dun château) constitue l’un des révélateurs les mieux appropriés. Mais prêter sa voix n’est encore rien. Car enfin, est-il exaltation plus grande, plus trouble aussi, que de parler par la bouche d’un autre ? Et a fortiori, lorsque cet autre n’est que le produit de notre fantaisie. De ces êtres illusoires, Le Roi errant n’est certes pas exempt. Monarque vieillissant qui compose ses mémoires, passeur aux allures de nautonier Charon qui accumule les doutes, riche marchand qui dicte ses dernières paroles à l’instant d’atteindre au trépas : Jean-Pierre Chambon se livre à la confession dont le pressentiment de la mort s’avère, comme on le voit, le socle essentiel. Laissant ses » personnages » revendiquer la paternité de ses propos, l’auteur peut tranquillement faire remonter de leurs soubassements les mots si ce n’est les plus inavouables, du moins les plus déconcertants, tant celui qui écrit sait bien qui’ls sont issus de lui et, tout à la fois, qu’ils ne lui » ressemblent » pas. Toujours au bord de la légende et du récit mythologique, les poèmes de Chambon constituent autant de » fictions » réunies autour de la figure du Destin… Usant d’une lenteur souveraine et pour ainsi parler » empoisonnante « , le poème nourri de romantisme insinuant (voire d’un soupçon de symbolisme fantastique), installe une atmosphère si riche qu’on a parfois le sentiment d’y manquer d’air. L’univers y est en quelque sorte irrespirable et comme au bord de la folie, parce que tout y » parle » dans un entrelacs de signes étouffant et dans un jeu d’un déchirement sans fin. Mais une telle abondance d’émotions successives et d’intarissables descriptions ne saurait tromper : elle débouche le plus souvent sur une dernière notation aussi allusive que laconique. L’éloquence aboutit au silence ; l’essence du poème réside dans ce qu’il ne dit pas. Et l’on entrevoit que le Roi errant du livre n’est peut-être, en dernière instance, qu’une métaphore du poète : souverain de sa langue, mais harcelé à perpétuité par le besoin vital d’en remettre en cause tous les fondements… Condamné à ne régner à demeure que sur ce qui ne demeure pas : voilà sa demeure ! Celle de Jean-Pierre Chambon, en tous les cas, excite grandement notre curiosité. Jean-Louis Roux _______________________________ Nuée de corbeaux dans la bibliothèque La lumière qui vient mourir aux vitres éclaire d’une autre manière : l’arrondi du fauteuil, le globe de la lampe, la boiserie des rayonnages, les feuilles blanches sur la table, tout paraît à la fois plus intense et suspendu, comme si les choses se livraient pleinement au moment même où elles allaient cesser d’être tout à fait séparées, juste avant qu’on se décide enfin à allumer une lampe. C’est l’heure favorite, l’heure ambiguë, l’heure propice de l’inquiétude et de la joie mêlées – c’est aussi l’heure des corbeaux. En voici justement un sur le cèdre du parc, qui crie, perché parmi le bleu assombri, fixant à l’arbre si noble un sceau d’infamie. Leopardi attribuait aux oiseaux le privilège inné du rire. Dans le cas du corbeau, il paraît difficile de le suivre, tant le croassement semble une plainte inconsolable, ou pire, le rappel ironique de la désillusion finale. Et bientôt, mais de l’autre côté, en arrive toute une bande, venue se poser autour de moi dans la granulation grise de la lumière. Je reconnais d’abord le corbeau magnifique d’Edgar Poe claquant du bec sa ritournelle fatidique. Puis viennent les corbeaux de Li Po, discrets et mélancoliques, les messagers saturniens de Rimbaud, et implacables nécrophages, ceux de Villon et de Trakl. Je distingue aussi parmi la nuée virtuelle le corbeau goguenard de Pouchkine, celui déprimant de Majnûn, et repéré à son vol frénétique, le corbeau terrible de Ted Hughes. J’aperçois encore le corbeau de Claudel, à l’oeil énorme. Celui de Raymond Carver passe dans un frissonnement tout proche, celui de Kenneth White laisse un hiéroglyphe sur la neige. Il y a encore l’oiseau celte, l’augure romain, la corneille tournoyant à l’aplomb de l’âpre paysage anatolien et dont un derviche aura psalmodié le nom… Il y a…Il y a…La nuée s’estompe, à force de fractionnements infinitésimaux. Seul persiste le corbeau de l’arbre, le corbeau de personne, qui grince une dernière fois avant de prendre son essor au-dessus de la ville, vers le ciel déchiré de lueurs. Jean-Pierre Chambon |
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François Frapier lit Antoine Emaz
Môle Antoine EMAZ Vous voulez de la sauce ? À chaque fois au début, il y a cette impression insistante, pressante, d’immobilité, d’inertie et d’urgence, d’impératif. Comme dans la boue nocturne des cauchemars. On bouge encore un peu, mais. Vite. On attend que vienne quelque chose. Il faudrait que vienne quelque chose. Vite, vite, il faut que quelqu’un arrive. Une aide. Non ? Un secours. Non ? Une présence. On ne sait pas. On voudrait. Et puis : il faut maintenant, il faut. Soi alors ? Est-ce possible ? Soi ? Serait-ce possible ? Il faudrait durer de façon plus stable pour pouvoir dire sans rire : moi… II Il semble, cependant, bien vite, que personne ne soit attendu ou en mesure d’intervenir. Il faudrait. C’est dit souvent. Il faudrait. C’est dit. On voudrait. Il faudrait. Il devrait. Mais rien, personne ne répond à l’injonction. Il faudrait. Au matin peut-être ? Le temps manque. On voudrait. Vite. Et puis non, inutile de rêver : personne pour délivrer de la peur, personne pour endiguer l’eau qui monte, et pour accélérer la nuit : personne ; et encore personne pour aider à franchir le mur, pour stopper les remous dans quoi on est pris, entraîné, le sable où l’on s’enfonce, personne ; personne pour écarter le danger du monde, sortir de la cage, personne pour faire cesser ce spleen. De la joie, de la paix, de l’air s’intercalent, parfois, entre tout cela. On respire. Rémission, malgré tout / on vit sous le ciel. Mais ne peuvent durer la joie, la paix, la légèreté, ni l’air. Mauvais oeil. C’est normal. Tout est voué à l’échec. On se sent creux. A l’intérieur, ça fond, ça s’émiette, ça s’enterre, ça hurle, ça se solidifie, ça se dresse, ça s’éboule, ça oppresse, fait étouffer rend fou fait mourir. On a devant soi un écorché. C’est de l’anatomie. Le corps commence / à se défaire. On soulève les organes, pour voir : carcasse, crâne, yeux, peau, bouts de chair, caillot de sang, pied, main, os, visage, cette tête / coupée, cette tête / qui crie. On voudrait comprendre ce qu’il y a au fond. On voudrait savoir ce qu’il y a au bout, au fond de l’attente. Mais, entre temps ? Torture. Rien pour combler ce qui manque, l’évidence, le calme, le temps. Parce que, sale histoire, manque quelque chose. L’air, la légèreté, l’eau, l’espace, même s’ils sont là. Le plein est trop plein. Le vide trop vide. Le dehors enferme. Le dedans exclut. On ne trouve pas de place. Et puis, très vite, l’inquiétude vient de ce qu’on n’avance pas, ou très lentement. Ça bloque : stase. Au prix d’efforts inhumains, quotidiens cependant supportables donc vivables, on débouche. Vivables ? C’est en plein dans de l’Histoire. Ça rappelle à la surface de soi des existences de frères. Alors on avance dans cette écriture du dehors qui peine dans la liberté. On constate d’ailleurs qu’on revient sur ses pas. Ce n’est pas possible ! On est retenu, accroché, happé. Ce sont des scènes déjà vécues. On partage, mon vieux, avec d’autres visages qui se déforment et disparaissent sous la grimace. Un poème se termine seulement quelques millimètres plus loin quand un autre nous ramène illico en arrière, au point de départ. Ça recommence. On pense à Sisyphe. De très vieilles forces traversent l’espace, des apparitions. On pense à Méduse, convulsée, qui surveille le travail d’exister. On pense à Winnie qui s’enfonce dans la terre. On pense aux otages de Fautrier. On pense aux crochets, aux rats, aux chiens de Velickovic. On pense à l’avaleur Cronos, ou à l’autre, » pied enflé » qui se crève les yeux. Le monde ne lâche pas. On va y passer. On se dit que c’est mal parti, on se dit qu’on n’y arrivera pas, puisqu’il n’y arrive pas, Antoine Emaz, à s’en débarrasser. On n’est bien nulle part. Ça revient. Ça hante. Ça insiste. Ça accélère. Vieille chose. Très vieille famille de tout ça. Ça vieillit l’humanité. Revoici le mur qu’il met devant ou la terre qui s’effondre ou le regard de bête qui foudroie ou la cage qui entoure ou le jour qui meurtrit. De retour la même tête. On ne résout pas. On oublie, on écarte surtout. Alors l’écriture qui vient par petits morceaux arrachés à tout par la violence de cette tête, et qui va menacer de s’écrouler aussitôt levée dans le blanc, et qui ne laisse pas tranquille, au calme, qu’est-ce qu’elle transforme ? On sait que, de toute façon on est toujours pris à l’intérieur de quelque chose, un effort, un interstice, le jour la barbarie, une rue, une vision terrifiante, des lignes. On se dit, c’est encore au début. On connaît ça. Ça ne durera pas. Alors, bon sang, finalement, qu’est-ce qu’il transforme, le poème ? Et ça recommence : quelqu’un va venir. Ou quelque chose. Ça recommence. Pour l’instant, ça a sérieusement l’air de vouloir durer. Voilà. Et puis tout s’équivaut. Tout semble vain. Voilà. Il y a à l’intérieur quelque chose qui sait mieux et qui reste. Un caillou. C’est dit. De l’irréductible. On porte à l’intérieur une pierre, un boulet, des gravas. C’est tout. au départ / avant le poème / il n’y a que la vie continuée // et après de même. ça revient au même. Rien n’a bougé, changé. A la fin, c’est la même chose. Aussi, entre temps, un jour, alors qu’on est dans un jardin, est-ce la même chose si vient quelqu’un – un vigilant pour relier à temps ce qui se désagrège dans l’urgence, sous la menace – dans le poème, si entre quelqu’un soudain, chez vous, en vous, qui dit, avec l’intonation, un chant presque : Voulez-vous de la sauce ? Thierry Bouchard Théodore Balmoral ; 22/23. 1995. ______________________________ ANTOINE EMAZ ou le fond du poème Né en 1955 à Paris, Antoine Emaz vit à Angers. Il est l’auteur d’une quinzaine de livres qu’il sera de plus en plus difficile d’ignorer tant leur modernité nous est déjà nécessaire…/… Éditions et collaborations Je reconnais qu’il peut être difficile de se retrouver parmi mes livres : il en va de même pour les revues. Mais derrière cet apparent désordre, il y a un choix clair : le refus d’une édition qui ne se risque plus, et accepte la domination d’impératifs autres que littéraires. Il y a aussi des fidélités : je me sens en complet accord avec F.-M. Deyrolle, par exemple, ou avec Tarabuste. Mais il est vrai que je n’ai pas plus mon éditeur qu’un éditeur ne m’a. Et c’est bien ainsi. Il faut aussi se demander ce qu’est un livre : ce n’est pas si simple : recueil, livre d’artiste, plaquette, livre-objet… Un livre de dix pages, est-ce un livre ? Un livre à trente exemplaires, est-ce un livre ? Pour moi, si un poème habite un lieu, il y a un livre. Bien sûr, cela introduit une certaine confusion. Tant mieux. J’ai confiance dans le lecteur : s’il le veut, il trouve les poèmes – et sa liberté rejoint ainsi la mienne. Je ne crois pas que l’on puisse imposer grand chose : le poème se situe entre un auteur, un lecteur et une histoire, un temps qui l’accueille ou non. Pour ma part, j’ai besoin d’une relation avec celui ou celle qui fabrique le livre – non pour imposer mes vues, mais pour qu’il y ait désir et travail communs. En cela, travailler avec des artistes m’intéresse vraiment. Ils ont une autre façon d’aborder le livre, et cela donne des contraintes et des découvertes, comme du jeu dans le travail, une redéfinition du livre à chaque fois. Lorsqu’Anik Vinay m’a proposé de travailler avec elle sur l’ardoise, il y a eu pour moi des contraintes de mètre, et pour elle une manière imprévue de penser l’évolution du livre. Avec Marie Alloy, il y a eu toute une série de choix successifs, d’approximations passionnantes avant de fixer. Après, on peut penser que ces poèmes sont négligeables parce que d’une diffusion restreinte ; on peut penser qu’il s’agit d’élitisme et d’ouvrages pour bibliophiles. Pour moi, ce sont d’abord des poèmes qui ont trouvé leurs lieux. Cela suffit. Je n’ai pas de raison de les bouger ensuite, pas de raison non plus pour les oublier : ils existent. D’ordinaire, avec les artistes, je préfère partir d’un projet commun flou mais qui laisse toute latitude, et serrer après, dans la mesure du possible. En général, cela se passe bien : je crois que l’artiste se débrouille mieux que moi avec l’espace du livre ; il arrive à s’arranger, alors que c’est bien difficile pour moi si les contraintes n’ont pas été fixées au départ. Pour les recueils, il en va un peu différemment puisqu’il s’agit d’intégrer les poèmes dans le cadre d’un volume lui-même pris dans une collection. J’ai donc plutôt tendance à me fier à l’éditeur, qui connaît mieux ses contraintes et ses possibilités d’ajustement. On parle ensemble, mais je suis surtout attentif à certains points : que ses coupes techniquement obligées ne contrecarrent pas les miennes, par exemple. Le plus souvent, c’est facile ; il trouve les solutions, parfois même avant de m’en parler, puisqu’il sait ce que je veux. D’où l’importance pour moi de cette relation, qui doit être amicale et confiante. Les titres Poèmes en miettes (1986) – Deux poèmes (1986) – Poème carcasse (1991) – Poème, corde (1994) En deçà (1990) Poème, l’élan l’impact (1991) Poème : trois jours, l’été (1992) La nuit posée là (1992) c’est (1992) Poème, va (1993) Entre (1995) Fond d’oeil (1995) Titres et lecture Pourquoi, dans les titres, insister sur » poème » ? D’abord, pour afficher la couleur : ce ne sont pas des » textes « . Il y a aussi, par le singulier, la volonté de marquer que le poème est un mouvement construit en séquences. Souligner ce point est peut-être né d’une réaction suite à mes premiers envois en revues : on me répondait « vos poèmes… » alors que je n’en avais proposé qu’un sur plusieurs pages… D’une certaine façon, le poème me paraît analogue au film : le montage et l’ordre des séquences est une question essentielle. Je travaille surtout l’écriture avec mes yeux, dans une sorte de musique mentale d’autant plus nette que le silence est parfait autour. Je veux saisir cette musique, même si je sais qu’elle me filera toujours entre les doigts. En cela le poème, sans doute, reste approximatif, dans sa tension vers le plus exact. Lire à haute voix des poèmes me demande un effort : il y a aussi des poèmes que je ne peux que très mal « dire ». En fait, quand je lis en public, j’aime surtout la rencontre et le dialogue qui suivent la lecture ! Les travaux et les jours J’ai commencé à écrire assez tôt, sans doute vers quinze ans. Mais pendant une dizaine d’années, je suis resté sur le constat que mes poèmes n’étaient pas bons. Puis j’ai été durablement fasciné par l’écriture d’André du Bouchet. Écrire » comme lui » ne m’intéressait pas ; et écrire autrement… je ne voyais pas. Je ne sais pas comment je suis sorti de cette impasse : un été, deux poèmes se sont écrits, dans deux directions très différentes : Chant des pauvres et Mur, paroi. C’est à partir de ce dernier poème que j’ai vraiment commencé à écrire. Non, je ne ressens pas de doute quant à mon identité de poète. Je n’ai aucun désir rentré de roman, de théâtre ou d’essai. Par contre, j’ai souvent des doutes sur la valeur de mon travail : l’impression d’être en-deçà de ce qu’il faudrait. Bref, je ne suis pas tranquille. Comment s’écrit un poème ? La plupart du temps, en deux phases. La première est courte et violente : sans que je sache très bien pourquoi, une forme et une force s’imposent, suite à un jeu de pressions internes/externes. C’est une sorte de matière première. Commence alors une seconde phase, qui peut durer des mois, quelquefois des années. Il s’agit de manier ce qui était au départ, de l’user en réalisant autant de tentatives que nécessaire. Un travail de suppressions, de corrections, de greffes… Cela donne une série d’états successifs et au bout, à force, je crois que cela tient. Mais bien des poèmes n’en finissent pas de finir, ou s’effondrent définitivement. Contemporains et » on « J’ai lu et je lis beaucoup de poètes. S’il faut une sorte de lignée, je dirais Baudelaire, Reverdy, du Bouchet. Mais il faudrait citer aussi le Guillevic de Paroi, les vers de Michaux, le savon et la figue de Ponge, Follain, les derniers textes de Beckett… Parmi les contemporains, la diversité est passionnante, et j’aime autant lire ce qui méloigne de mon travail que ce qui m’en rapproche : je pense à Jean-Louis Giovannoni, Bernard Noël, James Sacré, Dominique Grandmont, Jean-Michel Maulpoix, Charles Juliet… Et je pourrais parler aussi d’auteurs moins connus ou plus jeunes qui m’intéressent beaucoup comme Thierry Bouchard, Jean-Pierre Georges, Jacques Lèbre, Jean-Gabriel Cosculluela, Jean-Patrice Courtois, Olivier Bourdelier, Emmanuel Laugier… Je ressens une vraie joie à lire, comme sentir la poésie circuler, vivre à travers la multiplicité des choix, des possibles. Dans les poèmes, c’est vrai, je n’emploie pas le je, et préfère le on. Est-ce pour marquer que le poème n’est pas un miroir ou une mise en valeur du moi ? Le on revient à mettre à distance le personnel, sans toutefois l’effacer complètement : cet écart me permet sans doute de travailler. Ajoutons que je n’ai pas l’impression dêtre seul dans le poème : une bonne part de mon travail vise le collectif ou le banal. Je ne me crois pas doué dune sensibilité extraordinaire : le on permet de construire une sorte de lieu commun. Transcription et montage réalisés par Serge Martin IN : LE FRANCAIS AUJOURDHUI. 113. Mars 96 __________________________________ VIANDE En haut de la rue, au coin, il y a une boucherie. Le mardi et le vendredi, un gros camion blanc, tôt le matin, et des hommes en blouses sales : ils portent des blocs de viande aussi grands qu’eux. Presque personne ne les voit, mais cela a lieu. De loin, du blanc penché sous quelque chose de brun avec des taches plus claires dans la masse sombre, qui bouge. Des bouts de bêtes. Est-ce la couleur portée dans l’air froid ou la courbe des dos sous le poids des carcasses, ou la rue terne avec ces ombres et le silence, ou même le camion arrêté, feux éteints, sur le trottoir plus sombre ? On ne voit pas ce qui insiste. Pourtant, c’est dans le rouge. De mémoire, rien ne filtre. Alors ? Le jour commence avec cette viande livrée. Voilà ce qu’on peut dire. Antoine Emaz MAIGRE le dehors tourne vite la peau craque personne n’assiste une peau craque et ce qu’elle révèle dedans ne reste rouge que peu de temps on n’attend pas que cela se ferme du dehors on se replie assez loin on se serre un peu et on se ferme plus loin dedans plusieurs fois cela et on devient mince fil de glaise à force on n’a plus grand-chose à offrir à refuser on se tient avec un peu de chance assez encore pour avoir l’air et durer sans cesse attendre on voudrait on ne lâche pas ce sont les mains qui abandonnent on n’a pas lâché quand on a fini on est lâché et bien forcer de laisser au bout Antoine Emaz Poème de la fin ce qui meurt nous reste sur les bras mais nous on n’a rien à voir avec la mort c’est elle qui vient nous serrer du dehors seulement un jour de plus au bout d’un jour au jour le jour ainsi des années durant l’apprivoiser simplement et sans bruit elle se tait et croît doucement même au soleil d’une journée de printemps dans le remuement des corps lui faire sa part la banaliser autant que possible pour parvenir à croire un peu qu’elle fait partie des choses et que cela est bon ainsi au moins tout le monde sait ce que cela veut dire il est mort c’est simple elle recule encore plus au fond et nous ne verrons guère les visages que par accident remous un pas lourd un rire une poigne puis un peu d’eau ou de temps recouvrent le peu puis rien mais de façon presque claire on entend ce qu’on ne voit plus tomber profond loin dedans on rôde autour d’un manque une zone devenue d’ombre vite cela tient mal à la mémoire on reste autour du creux les bords s’éboulent dedans bientôt on ne verra plus qui pleure on dort avec elle au fond de soi comme un chien roulé en boule on sait que montera un jour ou l’autre un vent de terre et on attend les yeux ouverts un corps infusé d’encre une éponge gorgée et dans la bouche la terre au lieu des mots les mots pesant enfin leur poids exact terre et corps dehors et dedans et plus rien d’autre que de l’herbe ou des arbres d’ordinaire les choses vont et nous aussi nous allons avec les choses c’est clair mais parfois il y a ce qui s’arrête ou s’abat en bloquant et on est brutalement à nouveau où il faut rire fou tout seul on racle encore entre le mensonge ancien et ce qui vient on a du mal à rester debout à la fin qu’est-ce qu’on a donc à voir avec la vie la mort on bouge avec ce qui bouge on se tait avec ce qui reste il n’y a pas grand-chose d’autre Antoine Emaz |