Chambon, Jean-Pierre

Jean-Pierre Chambon vit et travaille à Grenoble. Il a publié Evocation de la maison grise (Le Verbe et l’Empreinte, 1981), Matières de coma (Ubacs, 1984), Les Mots de l’autre (en collaboration avec Charlie Raby, 1986), Le Corps est le vêtement de lâme (Comp’Act, 1990), Le Territoire aveugle (Gallimard, 1990), Fragments d’épreuves (Le Verbe et l’Empreinte, 1992), Le Roi errant (Gallimard, 1995), Un chant lapidaire (Voix d’encre,1995). Des poèmes de lui ont été traduits en espagnol, italien, russe, polonais, hongrois, bulgare, arabe. Il a obtenu le prix international de poésie Yvan Goll 1996. Il travaille régulièrement avec des photographes et des peintres et co-anime la revue Voix d’encre.

Récemment apparu au premier plan, Jean-Pierre Chambon, né en 1953, a fait partie d’un mouvement, constitué autour de la NRF, qui, sans s’affirmer telle, constitue une sorte d’école du nouveau lyrisme. Le souci de retourner à des rythmes récemment cassés par l’expérimentation formaliste et par la provocation telquellienne, s’accompagne dun recours à l’image poétique traditionnelle. Très intériorisée, sa poésie parle d’une relation à la fois sereine et tendue avec le versant caché du monde perceptible.

IN : 120 poètes français daujourdhui.1992
Montpellier. Maison du livre et des écrivains

Une oeuvre mangée aux vers

Jean-Pierre Chambon est avare de confidences, dès lors quil sagit de parler de lui. On sait cependant quil est né en 1953 à Grenoble, où il vit toujours. Il coanime avec le Montilien Alain Blanc la revue (et les éditions) Voix dEncre. Par ailleurs, il est rédacteur en chef de Périphériques, le trimestriel d’informations culturelles de la Ville de Saint-Martin-dHères.

 » Découvert  » par l’éditeur chartrousin Marc Pessin (éditions Le Verbe et lempreinte) qui publia son premier ouvrage, Jean-Pierre Chambon est l’auteur dune oeuvre, exclusivement poétique, qui comporte à ce jour huit recueils, dont Matières de coma (Ubacs, 1983), Le Territoire aveugle (Gallimard, 1990), Le Corps est le vêtement de l’âme (CompAct, 1990) et Fragments d’épreuves (Le Verbe et l’empreinte, 1992). Les éditions Voix d’Encre s’apprêtent à publier, début décembre, Un Chant lapidaire, porfolio qui rassemble une série de poèmes de l’auteur et des photographies du Grenoblois Jacques Milan. Passionnée de poésie, jean-Pierre Chambon ? C’est trop peu dire. Une existence mangée aux vers !

Jean-Louis Roux
IN : Info Grenoble. 14/11/1995.

La parole nomade de Jean-Pierre Chambon

Assez ! voici la punition. – En marche ! Le Roi errant, le nouvel ensemble de poèmes de Jean-Pierre chambon – son septième livre et son second chez Gallimard après Le Territoire aveugle en 1990 -, est constitué dun maillage de mouvements et de dérives continus. Les mots, qui naissent à partir de tremblements sur l’eau, de traces dans le sable, d  » instant(s) qui étincelle(nt) « , matérialisent le lent cheminement de celui  » qui ne convoîte plus rien sur la terre «  mais que  » chaque pas ancre plus profondément / en soi « .

Mais quel est-il  » ce grain oublié dans le crible du ciel / parmi la meute hurlante «  ? Il est monarque déchu. Il est guerrier sachant quil ne possède  » de royaume / que cet espace incessant « . Il est passant, il est passeur qui va de déserts en châteaux, qui glisse sur les fleuves ou sur les chemins de halage, qui frôle les lisières, qui se hisse vers le col d’où jaillira lillusion  » d’avoir appartenu au ciel « , qui échoue dans une ancienne carrière comme un tombeau en forme de coeur en pleine forêt.

Oui, quel est-il ce rôdeur qui médite  » avant l’embouchure / au seuil de la perte et de l’oubli «  ? Il est le Déchiré, dont le  » bonheur est d’aller «  et la  » malédiction / De ne pouvoir établir (sa) demeure « . Il est l’Ecartelé aimanté tout à la fois par  » les îles et les étoiles «  et par  » le flot noir « . Il est l’habitant de  » deux mondes «  à l’image des  » deux / parties inconciliables / d’une même totalité « .

Il est Homme, il est Poète. Il est homme-poète, seul jumelage par lequel se reconstitue l’unité dune existence sans cesse ravinée. Nul doute, en tout cas, avec Jean-Pierre Chambon : progressant par tableautins, par estampes verbales, privilégiant la fluidité et tout ce qui a trait au regard, il prouve qu’être et dire procèdent de la même nécessité, de la même lutte. Sa parole nomade établit la fusion entre l’immédiateté de la pensée et  » le pays d’ailleurs « .

Et si le Roi errant se clôt sur le mot  » inaccessible « , chacune des pages parvient cependant à désigner, parmi de  » faibles éclats fulgurants « , les lieux et les circonstances ou  » soudain (…) recommence le monde « .

Ici l’écriture rejoindrait les Ecritures et l’auteur d  » Une Saison en enfer  » – à qui nous ne nous référons pas par hasard sans guillemets pour ouvrir et boucler ces lignes – reste compagnon de (dé)route. En témoigne parallèlement l’implacable  » Discours du silence «  que Jean-Pierre Chambon vient de publier dans la revue Aube magazine pour saluer  » Rimbaud à Aden « . A noter encore que Chambon co-dirige, de Grenoble où il est né et où il vit, la revue Voix d’Encre, enseigne à laquelle paraît ces jours-ci  » En un pays de ruine et de lumière «  d’un autre Dauphinois, Hervé Planquois. Un recueil à découvrir, justement, dans le prolongement du fascinant Roi errant, sur fond de causse, d’érosion, de  » sourd cri sous l’iris « . Tout  » cela (qui) s’appelle l’éphémère, / ce passage d’une rive à lautre « . On ne part pas. – Reprenons les chemins d’ici…

Didier Pobel
IN : Le Dauphiné libéré – Vaucluse matin. 4/12/1995.

Jean-Pierre Chambon : le roi, son château et la folle du logis

Jean-Pierre Chambon, puisqu’il faut en venir aux faits, débuta sa carrière littéraire avec un ouvrage intitulé Evocation de la matière grise (éditions Le Verbe et l’empreinte, 1981) : nous y voilà. L’auteur y rêvait, en des proses à l’obstination tranquille et insidieuse, d’une demeure sans doute plus fictive encore que ne l’étaient ses occupants.  » Mon logement est immatériel. J’habite tout entier dans ma tête «  : tels étaient d’ailleurs les ultimes mots du livre. J’entends que si ladite maison nétait que pure chimère, à tout le moins y eut-il quelqu’un pour en bâtir la légende (et y résider en songe, ce qui n’est déjà pas si mal). Presque quinze ans plus tard, Chambon n’a, en somme, pas changé. Son dernier recueil, Le Roi errant, prouve de nouveau qui’l ne prise en rien tant que de prêter sa voix aux fantasmagories dont l’emblème de la Maison (en occurrence, il s’agit plutôt dun château) constitue l’un des révélateurs les mieux appropriés.

Mais prêter sa voix n’est encore rien. Car enfin, est-il exaltation plus grande, plus trouble aussi, que de parler par la bouche d’un autre ? Et a fortiori, lorsque cet autre n’est que le produit de notre fantaisie. De ces êtres illusoires, Le Roi errant n’est certes pas exempt. Monarque vieillissant qui compose ses mémoires, passeur aux allures de nautonier Charon qui accumule les doutes, riche marchand qui dicte ses dernières paroles à l’instant d’atteindre au trépas : Jean-Pierre Chambon se livre à la confession dont le pressentiment de la mort s’avère, comme on le voit, le socle essentiel. Laissant ses  » personnages  » revendiquer la paternité de ses propos, l’auteur peut tranquillement faire remonter de leurs soubassements les mots si ce n’est les plus inavouables, du moins les plus déconcertants, tant celui qui écrit sait bien qui’ls sont issus de lui et, tout à la fois, qu’ils ne lui  » ressemblent  » pas.

Toujours au bord de la légende et du récit mythologique, les poèmes de Chambon constituent autant de  » fictions  » réunies autour de la figure du Destin… Usant d’une lenteur souveraine et pour ainsi parler  » empoisonnante « , le poème nourri de romantisme insinuant (voire d’un soupçon de symbolisme fantastique), installe une atmosphère si riche qu’on a parfois le sentiment d’y manquer d’air. L’univers y est en quelque sorte irrespirable et comme au bord de la folie, parce que tout y  » parle  » dans un entrelacs de signes étouffant et dans un jeu d’un déchirement sans fin.

Mais une telle abondance d’émotions successives et d’intarissables descriptions ne saurait tromper : elle débouche le plus souvent sur une dernière notation aussi allusive que laconique. L’éloquence aboutit au silence ; l’essence du poème réside dans ce qu’il ne dit pas. Et l’on entrevoit que le Roi errant du livre n’est peut-être, en dernière instance, qu’une métaphore du poète : souverain de sa langue, mais harcelé à perpétuité par le besoin vital d’en remettre en cause tous les fondements… Condamné à ne régner à demeure que sur ce qui ne demeure pas : voilà sa demeure ! Celle de Jean-Pierre Chambon, en tous les cas, excite grandement notre curiosité.

Jean-Louis Roux
IN : Info Grenoble. 14/11/95.

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Nuée de corbeaux dans la bibliothèque

La lumière qui vient mourir aux vitres

éclaire d’une autre manière : l’arrondi

du fauteuil, le globe de la lampe,

la boiserie des rayonnages, les feuilles

blanches sur la table, tout paraît à la fois

plus intense et suspendu, comme si

les choses se livraient pleinement

au moment même où elles allaient cesser

d’être tout à fait séparées, juste avant

qu’on se décide enfin à allumer une lampe.

C’est l’heure favorite, l’heure ambiguë,

l’heure propice de l’inquiétude et de la joie

mêlées – c’est aussi l’heure des corbeaux.

En voici justement un sur le cèdre du parc,

qui crie, perché parmi le bleu assombri,

fixant à l’arbre si noble un sceau d’infamie.

Leopardi attribuait aux oiseaux le privilège

inné du rire. Dans le cas du corbeau, il paraît

difficile de le suivre, tant le croassement

semble une plainte inconsolable, ou pire,

le rappel ironique de la désillusion finale.

Et bientôt, mais de l’autre côté, en arrive

toute une bande, venue se poser autour

de moi dans la granulation grise de la lumière.

Je reconnais d’abord le corbeau magnifique

d’Edgar Poe claquant du bec sa ritournelle

fatidique. Puis viennent les corbeaux de Li

Po, discrets et mélancoliques, les messagers

saturniens de Rimbaud, et implacables

nécrophages, ceux de Villon et de Trakl.

Je distingue aussi parmi la nuée virtuelle

le corbeau goguenard de Pouchkine, celui

déprimant de Majnûn, et repéré à son vol

frénétique, le corbeau terrible de Ted Hughes.

J’aperçois encore le corbeau de Claudel,

à l’oeil énorme. Celui de Raymond Carver

passe dans un frissonnement tout proche,

celui de Kenneth White laisse un hiéroglyphe

sur la neige. Il y a encore l’oiseau celte,

l’augure romain, la corneille tournoyant

à l’aplomb de l’âpre paysage anatolien

et dont un derviche aura psalmodié le nom…

Il y a…Il y a…La nuée s’estompe, à force

de fractionnements infinitésimaux. Seul

persiste le corbeau de l’arbre, le corbeau

de personne, qui grince une dernière fois

avant de prendre son essor au-dessus

de la ville, vers le ciel déchiré de lueurs.

Jean-Pierre Chambon
IN : Théodore Balmoral ; 22-23 .1995.

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Emaz, Antoine

emaz François Frapier lit Antoine Emaz

Môle Antoine EMAZ Vous voulez de la sauce ?

À chaque fois au début, il y a cette impression insistante, pressante, d’immobilité, d’inertie et d’urgence, d’impératif. Comme dans la boue nocturne des cauchemars. On bouge encore un peu, mais. Vite. On attend que vienne quelque chose. Il faudrait que vienne quelque chose. Vite, vite, il faut que quelqu’un arrive. Une aide. Non ? Un secours. Non ? Une présence. On ne sait pas. On voudrait. Et puis : il faut maintenant, il faut. Soi alors ? Est-ce possible ? Soi ? Serait-ce possible ? Il faudrait durer de façon plus stable pour pouvoir dire sans rire : moi… II Il semble, cependant, bien vite, que personne ne soit attendu ou en mesure d’intervenir. Il faudrait. C’est dit souvent. Il faudrait. C’est dit. On voudrait. Il faudrait. Il devrait. Mais rien, personne ne répond à l’injonction. Il faudrait. Au matin peut-être ? Le temps manque. On voudrait. Vite. Et puis non, inutile de rêver : personne pour délivrer de la peur, personne pour endiguer l’eau qui monte, et pour accélérer la nuit : personne ; et encore personne pour aider à franchir le mur, pour stopper les remous dans quoi on est pris, entraîné, le sable où l’on s’enfonce, personne ; personne pour écarter le danger du monde, sortir de la cage, personne pour faire cesser ce spleen. De la joie, de la paix, de l’air s’intercalent, parfois, entre tout cela. On respire. Rémission, malgré tout / on vit sous le ciel. Mais ne peuvent durer la joie, la paix, la légèreté, ni l’air. Mauvais oeil. C’est normal. Tout est voué à l’échec. On se sent creux. A l’intérieur, ça fond, ça s’émiette, ça s’enterre, ça hurle, ça se solidifie, ça se dresse, ça s’éboule, ça oppresse, fait étouffer rend fou fait mourir. On a devant soi un écorché. C’est de l’anatomie. Le corps commence / à se défaire. On soulève les organes, pour voir : carcasse, crâne, yeux, peau, bouts de chair, caillot de sang, pied, main, os, visage, cette tête / coupée, cette tête / qui crie. On voudrait comprendre ce qu’il y a au fond. On voudrait savoir ce qu’il y a au bout, au fond de l’attente. Mais, entre temps ? Torture. Rien pour combler ce qui manque, l’évidence, le calme, le temps. Parce que, sale histoire, manque quelque chose. L’air, la légèreté, l’eau, l’espace, même s’ils sont là. Le plein est trop plein. Le vide trop vide. Le dehors enferme. Le dedans exclut. On ne trouve pas de place. Et puis, très vite, l’inquiétude vient de ce qu’on n’avance pas, ou très lentement. Ça bloque : stase. Au prix d’efforts inhumains, quotidiens cependant supportables donc vivables, on débouche. Vivables ? C’est en plein dans de l’Histoire. Ça rappelle à la surface de soi des existences de frères. Alors on avance dans cette écriture du dehors qui peine dans la liberté. On constate d’ailleurs qu’on revient sur ses pas. Ce n’est pas possible ! On est retenu, accroché, happé. Ce sont des scènes déjà vécues. On partage, mon vieux, avec d’autres visages qui se déforment et disparaissent sous la grimace. Un poème se termine seulement quelques millimètres plus loin quand un autre nous ramène illico en arrière, au point de départ. Ça recommence. On pense à Sisyphe. De très vieilles forces traversent l’espace, des apparitions. On pense à Méduse, convulsée, qui surveille le travail d’exister. On pense à Winnie qui s’enfonce dans la terre. On pense aux otages de Fautrier. On pense aux crochets, aux rats, aux chiens de Velickovic. On pense à l’avaleur Cronos, ou à l’autre,  » pied enflé  » qui se crève les yeux. Le monde ne lâche pas. On va y passer. On se dit que c’est mal parti, on se dit qu’on n’y arrivera pas, puisqu’il n’y arrive pas, Antoine Emaz, à s’en débarrasser. On n’est bien nulle part. Ça revient. Ça hante. Ça insiste. Ça accélère. Vieille chose.

Très vieille famille de tout ça. Ça vieillit l’humanité. Revoici le mur qu’il met devant ou la terre qui s’effondre ou le regard de bête qui foudroie ou la cage qui entoure ou le jour qui meurtrit. De retour la même tête. On ne résout pas. On oublie, on écarte surtout.

Alors l’écriture qui vient par petits morceaux arrachés à tout par la violence de cette tête, et qui va menacer de s’écrouler aussitôt levée dans le blanc, et qui ne laisse pas tranquille, au calme, qu’est-ce qu’elle transforme ? On sait que, de toute façon on est toujours pris à l’intérieur de quelque chose, un effort, un interstice, le jour la barbarie, une rue, une vision terrifiante, des lignes. On se dit, c’est encore au début. On connaît ça. Ça ne durera pas. Alors, bon sang, finalement, qu’est-ce qu’il transforme, le poème ? Et ça recommence : quelqu’un va venir. Ou quelque chose. Ça recommence. Pour l’instant, ça a sérieusement l’air de vouloir durer. Voilà. Et puis tout s’équivaut. Tout semble vain. Voilà. Il y a à l’intérieur quelque chose qui sait mieux et qui reste. Un caillou. C’est dit. De l’irréductible. On porte à l’intérieur une pierre, un boulet, des gravas. C’est tout. au départ / avant le poème / il n’y a que la vie continuée // et après de même. ça revient au même. Rien n’a bougé, changé. A la fin, c’est la même chose. Aussi, entre temps, un jour, alors qu’on est dans un jardin, est-ce la même chose si vient quelqu’un – un vigilant pour relier à temps ce qui se désagrège dans l’urgence, sous la menace – dans le poème, si entre quelqu’un soudain, chez vous, en vous, qui dit, avec l’intonation, un chant presque : Voulez-vous de la sauce ?

Thierry Bouchard

Théodore Balmoral ; 22/23. 1995.

______________________________ ANTOINE EMAZ ou le fond du poème

Né en 1955 à Paris, Antoine Emaz vit à Angers. Il est l’auteur d’une quinzaine de livres qu’il sera de plus en plus difficile d’ignorer tant leur modernité nous est déjà nécessaire…/…

Éditions et collaborations

Je reconnais qu’il peut être difficile de se retrouver parmi mes livres : il en va de même pour les revues. Mais derrière cet apparent désordre, il y a un choix clair : le refus d’une édition qui ne se risque plus, et accepte la domination d’impératifs autres que littéraires. Il y a aussi des fidélités : je me sens en complet accord avec F.-M. Deyrolle, par exemple, ou avec Tarabuste. Mais il est vrai que je n’ai pas plus mon éditeur qu’un éditeur ne m’a. Et c’est bien ainsi.

Il faut aussi se demander ce qu’est un livre : ce n’est pas si simple : recueil, livre d’artiste, plaquette, livre-objet… Un livre de dix pages, est-ce un livre ? Un livre à trente exemplaires, est-ce un livre ? Pour moi, si un poème habite un lieu, il y a un livre. Bien sûr, cela introduit une certaine confusion. Tant mieux. J’ai confiance dans le lecteur : s’il le veut, il trouve les poèmes – et sa liberté rejoint ainsi la mienne.

Je ne crois pas que l’on puisse imposer grand chose : le poème se situe entre un auteur, un lecteur et une histoire, un temps qui l’accueille ou non. Pour ma part, j’ai besoin d’une relation avec celui ou celle qui fabrique le livre – non pour imposer mes vues, mais pour qu’il y ait désir et travail communs. En cela, travailler avec des artistes m’intéresse vraiment. Ils ont une autre façon d’aborder le livre, et cela donne des contraintes et des découvertes, comme du jeu dans le travail, une redéfinition du livre à chaque fois. Lorsqu’Anik Vinay m’a proposé de travailler avec elle sur l’ardoise, il y a eu pour moi des contraintes de mètre, et pour elle une manière imprévue de penser l’évolution du livre. Avec Marie Alloy, il y a eu toute une série de choix successifs, d’approximations passionnantes avant de fixer.

Après, on peut penser que ces poèmes sont négligeables parce que d’une diffusion restreinte ; on peut penser qu’il s’agit d’élitisme et d’ouvrages pour bibliophiles. Pour moi, ce sont d’abord des poèmes qui ont trouvé leurs lieux. Cela suffit. Je n’ai pas de raison de les bouger ensuite, pas de raison non plus pour les oublier : ils existent.

D’ordinaire, avec les artistes, je préfère partir d’un projet commun flou mais qui laisse toute latitude, et serrer après, dans la mesure du possible. En général, cela se passe bien : je crois que l’artiste se débrouille mieux que moi avec l’espace du livre ; il arrive à s’arranger, alors que c’est bien difficile pour moi si les contraintes n’ont pas été fixées au départ.

Pour les recueils, il en va un peu différemment puisqu’il s’agit d’intégrer les poèmes dans le cadre d’un volume lui-même pris dans une collection.

J’ai donc plutôt tendance à me fier à l’éditeur, qui connaît mieux ses contraintes et ses possibilités d’ajustement. On parle ensemble, mais je suis surtout attentif à certains points : que ses coupes techniquement obligées ne contrecarrent pas les miennes, par exemple. Le plus souvent, c’est facile ; il trouve les solutions, parfois même avant de m’en parler, puisqu’il sait ce que je veux. D’où l’importance pour moi de cette relation, qui doit être amicale et confiante.

Les titres

Poèmes en miettes (1986) – Deux poèmes (1986) – Poème carcasse (1991) – Poème, corde (1994)

En deçà (1990)
Poème du mur – Poème de la fatigue – Poème des dunes – Poème d’une énergie contenue (I. Dedans ; II. Pâle ; III. Hébétude) – La fin, les chiens.

Poème, l’élan l’impact (1991)

Poème : trois jours, l’été (1992)

La nuit posée là (1992)

c’est (1992)
Poème de la peur – Poème de la confusion – Poème sans bouger – Poème de la masse – Poèmes, travail (Ciel, Étau ; Brusque ; À la limite ; Aveugle ; Ruine ; Mat ; Rien plein) – Poème d’une mémoire muette – Poèmes, cernes – Poème de la fin – Poème : loin, trop – Poème autour d’un visage.

Poème, va (1993)

Entre (1995)
Pour tâcher d’arrêter – Pour suivre – Là, loin – Temps mort, presque – Autour – Autant que possible.

Fond d’oeil (1995)
Fin – Là – Briques – Tête – Viande – Fin.

Titres et lecture

Pourquoi, dans les titres, insister sur  » poème  » ? D’abord, pour afficher la couleur : ce ne sont pas des  » textes « . Il y a aussi, par le singulier, la volonté de marquer que le poème est un mouvement construit en séquences. Souligner ce point est peut-être né d’une réaction suite à mes premiers envois en revues : on me répondait « vos poèmes… » alors que je n’en avais proposé qu’un sur plusieurs pages… D’une certaine façon, le poème me paraît analogue au film : le montage et l’ordre des séquences est une question essentielle.

Je travaille surtout l’écriture avec mes yeux, dans une sorte de musique mentale d’autant plus nette que le silence est parfait autour. Je veux saisir cette musique, même si je sais qu’elle me filera toujours entre les doigts. En cela le poème, sans doute, reste approximatif, dans sa tension vers le plus exact. Lire à haute voix des poèmes me demande un effort : il y a aussi des poèmes que je ne peux que très mal « dire ». En fait, quand je lis en public, j’aime surtout la rencontre et le dialogue qui suivent la lecture !

Les travaux et les jours

J’ai commencé à écrire assez tôt, sans doute vers quinze ans. Mais pendant une dizaine d’années, je suis resté sur le constat que mes poèmes n’étaient pas bons. Puis j’ai été durablement fasciné par l’écriture d’André du Bouchet. Écrire  » comme lui  » ne m’intéressait pas ; et écrire autrement… je ne voyais pas. Je ne sais pas comment je suis sorti de cette impasse : un été, deux poèmes se sont écrits, dans deux directions très différentes : Chant des pauvres et Mur, paroi. C’est à partir de ce dernier poème que j’ai vraiment commencé à écrire.

Non, je ne ressens pas de doute quant à mon identité de poète. Je n’ai aucun désir rentré de roman, de théâtre ou d’essai. Par contre, j’ai souvent des doutes sur la valeur de mon travail : l’impression d’être en-deçà de ce qu’il faudrait. Bref, je ne suis pas tranquille.

Comment s’écrit un poème ? La plupart du temps, en deux phases. La première est courte et violente : sans que je sache très bien pourquoi, une forme et une force s’imposent, suite à un jeu de pressions internes/externes. C’est une sorte de matière première. Commence alors une seconde phase, qui peut durer des mois, quelquefois des années. Il s’agit de manier ce qui était au départ, de l’user en réalisant autant de tentatives que nécessaire. Un travail de suppressions, de corrections, de greffes… Cela donne une série d’états successifs et au bout, à force, je crois que cela tient. Mais bien des poèmes n’en finissent pas de finir, ou s’effondrent définitivement.

Contemporains et  » on « 

J’ai lu et je lis beaucoup de poètes. S’il faut une sorte de lignée, je dirais Baudelaire, Reverdy, du Bouchet. Mais il faudrait citer aussi le Guillevic de Paroi, les vers de Michaux, le savon et la figue de Ponge, Follain, les derniers textes de Beckett… Parmi les contemporains, la diversité est passionnante, et j’aime autant lire ce qui méloigne de mon travail que ce qui m’en rapproche : je pense à Jean-Louis Giovannoni, Bernard Noël, James Sacré, Dominique Grandmont, Jean-Michel Maulpoix, Charles Juliet… Et je pourrais parler aussi d’auteurs moins connus ou plus jeunes qui m’intéressent beaucoup comme Thierry Bouchard, Jean-Pierre Georges, Jacques Lèbre, Jean-Gabriel Cosculluela, Jean-Patrice Courtois, Olivier Bourdelier, Emmanuel Laugier… Je ressens une vraie joie à lire, comme sentir la poésie circuler, vivre à travers la multiplicité des choix, des possibles.

Dans les poèmes, c’est vrai, je n’emploie pas le je, et préfère le on. Est-ce pour marquer que le poème n’est pas un miroir ou une mise en valeur du moi ? Le on revient à mettre à distance le personnel, sans toutefois l’effacer complètement : cet écart me permet sans doute de travailler. Ajoutons que je n’ai pas l’impression dêtre seul dans le poème : une bonne part de mon travail vise le collectif ou le banal. Je ne me crois pas doué dune sensibilité extraordinaire : le on permet de construire une sorte de lieu commun.

Transcription et montage réalisés par Serge Martin
avec l’amical regard d’Antoine Emaz

IN : LE FRANCAIS AUJOURDHUI. 113. Mars 96

__________________________________ VIANDE

En haut de la rue, au coin, il y a une boucherie. Le

mardi et le vendredi, un gros camion blanc, tôt le

matin, et des hommes en blouses sales : ils portent

des blocs de viande aussi grands qu’eux.

Presque personne ne les voit, mais cela a lieu.

De loin, du blanc penché sous quelque chose de

brun avec des taches plus claires dans la masse

sombre, qui bouge.

Des bouts de bêtes.

Est-ce la couleur portée dans l’air froid ou la

courbe des dos sous le poids des carcasses, ou la

rue terne avec ces ombres et le silence, ou même le

camion arrêté, feux éteints, sur le trottoir plus

sombre ?

On ne voit pas ce qui insiste.

Pourtant, c’est dans le rouge.

De mémoire, rien ne filtre.

Alors ?

Le jour commence avec cette viande livrée.

Voilà ce qu’on peut dire.

Antoine Emaz
Fond doeil
Théodore Balmoral, 1995.

MAIGRE

le dehors tourne

vite

la peau craque

personne n’assiste

une peau craque

et ce qu’elle révèle

dedans

ne reste rouge

que peu de temps

on n’attend pas

que cela se ferme

du dehors

on se replie

assez loin

on se serre un peu

et on se ferme

plus loin

dedans

plusieurs fois cela

et on devient mince

fil de glaise

à force

on n’a plus grand-chose

à offrir

à refuser

on se tient

avec un peu de chance

assez encore

pour avoir l’air

et durer sans cesse

attendre
ne pas laisser les choses ainsi

on voudrait

on ne lâche pas

ce sont les mains qui abandonnent

on n’a pas lâché

quand on a fini

on est lâché

et bien forcer de laisser

au bout

Antoine Emaz
Peu importe
Le Dé bleu, 1993.

Poème de la fin

ce qui meurt

nous reste

sur les bras

mais nous

on n’a rien à voir avec la mort

c’est elle qui vient

nous serrer

du dehors

seulement un jour de plus

au bout d’un jour

au jour le jour

ainsi

des années durant

l’apprivoiser

simplement et sans bruit

elle se tait et croît doucement

même au soleil

d’une journée de printemps

dans le remuement des corps

lui faire sa part

la banaliser autant que possible

pour parvenir à croire un peu

qu’elle fait partie des choses

et que cela est bon

ainsi

au moins

tout le monde sait ce que cela veut dire

il est mort

c’est simple

elle recule encore

plus au fond

et nous ne verrons guère les visages

que par accident

remous

un pas lourd un rire une poigne

puis

un peu d’eau ou de temps

recouvrent le peu

puis

rien

mais de façon presque claire

on entend ce qu’on ne voit plus

tomber profond

loin

dedans

on rôde autour d’un manque

une zone devenue d’ombre

vite

cela tient mal à la mémoire

on reste autour du creux

les bords s’éboulent dedans

bientôt on ne verra plus

qui pleure

on dort avec elle au fond de soi

comme un chien roulé en boule

on sait que montera un jour ou l’autre

un vent de terre

et on attend les yeux ouverts

un corps infusé d’encre

une éponge gorgée

et dans la bouche la terre

au lieu des mots

les mots pesant enfin leur poids exact

terre et corps

dehors et dedans

et plus rien d’autre

que de l’herbe ou des arbres

d’ordinaire

les choses vont

et nous aussi

nous allons avec les choses

c’est clair

mais parfois il y a ce qui s’arrête

ou s’abat

en bloquant

et on est brutalement à nouveau

où il faut rire

fou

tout seul

on racle encore

entre le mensonge ancien

et ce qui vient

on a du mal à rester debout

à la fin

qu’est-ce qu’on a donc à voir avec la vie

la mort

on bouge avec ce qui bouge

on se tait avec ce qui reste

il n’y a pas grand-chose d’autre

Antoine Emaz
C’est
Deyrolle, 1992.

.

Delbourg, Patrice

PATRICE DELBOURG

Poète, romancier, chroniqueur littéraire à l’Evènement du Jeudi, à  » Papou  » sur France-Culture. Il est né et vit à Paris.

Le Prix Appolinaire 1996 et le prix de la Société des gens de lettres lui ont été décernés pour son recueil de poésie, L’Ampleur du désastre, paru au Cherche-Midi en 1995.

Ecrivain français. Poète des villes blafardes soumises au néon et au béton, ce piéton arpente son angoisse avec une délectation morbide non dissimulée.

Patrice Delbourg joue admirablement avec les mots et, chez lui, l’humour veille toujours, prêt à bondir sur la bêtise commune.

IN : Dictionnaire universel des littératures. PUF, 1994

DELBOURG, Patrice (1949-…)

C’est le 7 octobre 1949, au petit matin, à l’hôpital de La Pitié, Paris treizième, dans les services du docteur Massepain ou Passegrain, qu’il émigra pour la première fois de lui-même. Péridurale, forceps, double cordon ombilical autour du cou et tout le tintouin. Trois semaines de controverses autour d’une couveuse. On le donna longtemps pour mort. La suite ne fut qu’un long répit. Exister est un plagiat, disait fréquemment un de ses auteurs favoris.

Dès son premier cerceau il commençait à régir ses trognons d’existence selon les principes d’insignifiance et de frivolité. Il écrivait dans la sourde fièvre des mauvaises siestes et des réveils en sursaut, montrait ses litanies par effraction, publiait par inadvertance. Parcimonieux en amitié, faussaire en amour, seule une certaine courtoisie de la fatigue lui permettait d’avoir encore une émergence sociale. Gosse en viager, il lui manquera toujours un peu de moustache pour se sentir adulte. Il passera sûrement des langes au linceul, sans transition. Le réel bille en tête, dans tous ses excès, ses approximations et son désarroi.

Au milieu de sa vie, ça n’allait vraiment pas très fort, mais cela n’avait jamais vraiment été et c’est un peu ce qu’il voulait dire dans la plupart de ses livres. Très peu de choses en somme. Dans ses récits, épisodiques, mal foutus, d’aucuns évoquaient la trame grise que mènent les personnages d’Emmanuel Bove, Henri Calet ou d’autres marathoniens de l’ennui, emmaillotés dans une curieuse obstination à se nourrir de leur propre désespoir. Peut-être bien. Le lecteur a toujours raison. Dans ses poèmes, ou prétendus tels, surfaces trouées comme de la cire à miel, certains parlaient de gifles audiovisuelles, de procès-verbaux sous formol ou de télégrammes d’effroi mis au goût ou au dégoût du jour. Comme un cri prolongé, loin des avatars stériles des contorsions rhétoriques. La poésie, exercice de survie qu’il pratique par attrait pour l’estocade, ne le console pas tout à fait du Far West perdu, ni du temps des baleines blanches, mais lui laisse le temps de fertiliser ses angoisses.

Chaque séquence semble la narration en lambeaux d’un homme qui fut le témoin d’une scène insoutenable. Presque trop décousu pour avoir la force de haïr, un lyrisme ordinaire, obscène souvent, se déroule comme un documentaire sans cesse stoppé par les butoirs du doute. Il se regarde dans les miroirs. Il se touche les joues, les bras. Oui, c’est bien lui. Ou l’autre, le carbone du voisin. Il scrute son blanc de l’oeil, examine ses selles, dix ans bientôt de psychothérapie de soutien dont les résultats se laissent fâcheusement attendre. Son indolence naturelle lui interdit de songer au suicide même si, certains matins, son visage lui devient par trop étranger.

On le rencontre souvent dans les gradins des stades de football, dans les coulisses du music-hall, dans les cabines de peep- show, en train de prendre le pouls du néant sur les boulevards de la déglingue. Il affectionne les dérives insécurisantes et ses ennuis d’argent sont constants. Une pharmacie ambulante à base de neuroleptiques et antidépresseurs ne quitte jamais ses poches intérieures. Il travaille dans un journal. Il parle dans un micro. Il a peur en avion. Il bande, rassurante mécanique. Il bouffe, comme c’est étrange. Il va au casino. Il aime les îles, la crème de marron vanillée, la fellation lente, les mauvais calembours, les journaux du soir et les jeux radiophoniques. On ne lui connaît guère de passion, tout au plus des marottes. Le puzzle d’une vie en miettes à ramasser. C’est moche. C’est banal. C’est insane. Il le veut, c’est ainsi.

Dans des caillots de rêve, il fait souvent du trapèze avec ce goût de vivre si mal. Il se branle, hargne salutaire. Son corps parle contre lui. Il emménage dans le fade. Zombi chaplinesque sautillant sur la marelle du quotidien. Un pied dans l’absolu, l’autre dans le futile, il traverse des nappes de gaz et de virus. Ce n’est pas vraiment une vie, ce n’est pas le néant non plus. Et puis la névrose est venue doucement. Avec l’armada des symptômes répétés et des images cannibales. Il ne sait plus très bien faire la part entre le plaisir et la souffrance, le saule et le tremble, le travail et le farniente, l’asphodèle et la rose, la nuit et le jour.

Obstinément il tente de réinvestir les différents arpents de son corps. Avant la fin du millénaire, il espère bien y parvenir sous peine de grands dommages.

Il ne rit plus comme jadis. Quelquefois, il lance en l’air un prénom de femme et tout redevient rassurant. Ses goûts littéraires sont paradoxaux mais il voue une prédilection à la narration bancale de la canaille instinctive. Peu importe. De plus en plus de détails matériels l’horripilent. Ses malaises dans les lieux publics deviennent d’une fréquence inquiétante. Sentiment de mort imminente, diagnostiquent les hommes en blouse blanche.

Toujours cette même conviction d’inappartenance, de manège inutile ou qu’il aille. Il feint de s’intéresser à ce qui ne lui importe guère, il se trémousse par automatismes, sans jamais être dans le coup, sans jamais être quelque part. Ce qui l’attire est ailleurs et cet ailleurs, il ne sait ce qu’il est. Il dort du côté droit, à cause du coeur. Passe de longues heures prostré, à contempler les veines de ses mains. Allez savoir.

Il habite une contrée journalière nommée l’apathie. Il n’écrit plus qu’acculé. Grand bluff de la vie pipée. Les regrets de l’enfance sont entrés lentement par ses yeux et lui ont vidé l’intérieur de la tête. Il côtoie l’âge de l’hébétude. Prendra-t-il un jour le temps de raconter une vraie histoire ? La sienne et toutes les autres. Il rêve souvent à ce livre léger et irrespirable, qui serait à la limite de tout et ne s’adresserait à personne.

Patrice Delbourg

IN : Jérôme Garcin, Le dictionnaire. François Bourin, 1988

A publié :

Ciné X. – Jean-Claude Lattès, 1977

*Cadastres. – Le castor astral, 1978 (Matin du monde)

*La martingale de d’Alembert. – Hemsé, 1981

*Génériques. – Pierre Belfond, 1982

Embargo sur tendresse. – Le castor astral, 1984

Absence de pedigree. -Le castor astral, 1984

*Un certain Blatte. – Le Seuil, 1989

*Toboggans. – Le Nouvel Athanor, 1993 (Les cahiers du sens)

*Bureau des latitudes. – Manya, 1993

*Vivre surprend toujours : journal dun hypocondriaque. – Le Seuil, 1994 (Point virgule ; 149)

*Mélodies chroniques : la chanson française sur le grill. – Le castor astral, 1994

*L’ampleur du désastre. – Le Cherche Midi, 1995

*Les désemparés : 53 portraits décrivains. – Le castor astral, 1996

*Exercices de stèles. – Le Félin, 1996

*Demandez nos esquimaux, demandez nos calembours. – Le cherche-midi, 1997.

*= à la médiathèque

Génériques

Belfond, 1982

On lit d’un coup ces pages. La perception du rythme né des courts-circuits est essentielle. L’éviction des  » beaux vers « , la mise à plat de Beckett comme de Bourvil, la mise en charpie de chansons et de souvenirs…fournissent un matériau linguistique apte à produire des significations simultanées.

Dans le même temps, cette  » trajectoire réaliste, éclatée et quotidienne  » est reprise par une construction linéaire qui réoriente la lecture : éclatement ne signifie pas dispersion. Le titre, les sous-titres, la transposition de procédés cinématographiques, nous ramènent à des sensations déjà éprouvées, à partir desquelles l’attention se renouvelle. Partout est présent le règne de l’audiovisuel. Parce que chacun frémit en réentendant d’anciens indicatifs.

Parce que notre rire est imprégné de l’absurde des dessins animés. Parce que le temps est cette toile sur quoi le monde se projette. Parce que l’existence a souvent la lenteur ennuyeuse d’un documentaire. Parce que la pensée contemporaine a été bouleversée par les façons nouvelles d’envisager la vie apportée par le sixième art.

Oui, il faut lire d’un coup jusqu’au générique final où vient très naturellement le nom de Fargue, avant de passer à une lecture arrêtée. Celle-ci montre que le texte fonctionne grâce à un travail minutieux. La multitude de notations nest pas, en elle-même, une explication. Quel écrivain n’a pas en poche un carnet plein de phrases surgies ? Ce qui compte, c’est la pertinence avec laquelle elles sont coupées afin déviter le bavardage et l’affaiblissement de leur pouvoir émotif, puis assemblées en fonction de la durée de ce pouvoir. En jouant sur les mots qui sont parfois plus forts qu’une phrase, en variant les effets d’animation ou de répulsion… Delbourg pourrait bien avoir trouvé ce que j’appellerai (en plagiant Cendrars) la moelle néon des banlieues modernes.

Gérard Noiret, IN : La Quinzaine littéraire, 1-15 Mars 1983

Absence de pedigree

Castor astral, 1984

Tout le puzzle d’une vie à ramasser, cela sa’ppelle une rencontre, une attente, une méprise ou un regret.

Patrice Delbourg, journaliste dans un grand hebdomadaire, possède un sens aigu de l’humour sous une apparence d’homme robuste et tranquille. Pourtant, je n’en connais guère de plus fragile, de plus blessé, de plus inquiet que lui. Derrière la douceur du regard, que de choses vacillantes pour ce poète perpétuel orphelin ou, selon ses propres termes,  » émigré  » de lui-même.

Absence de pedigree nous parle déjà par son seul titre : ne pas avoir de pedigree, c’est être fils de personne ou de rien, c’est devoir se façonner soi-même sans laide de quiconque. Delbourg symbolise à mes yeux un vrai désespoir du siècle, une difficulté d’être quil faut affronter jour après nuit. Heureusement, l’écriture est là, sûrement le meilleur des neuroleptiques. Aussi le journaliste comme l’écrivain s’y adonnent-ils avec une farouche énergie. Lyrique Delbourg ? Oui, sans doute, mais dun lyrisme lacéré, un peu comme ces toiles de Fontana fendues au rasoir. Les mots s’alignent, forment un vers ou un lambeau de vers, pour venir buter sur un blanc – interrogation, silence ? La phrase reprend, perd un verbe en route, se ponctue d’une série de substantifs, d’images sordides ou à dessein banales, le tout dans une absence totale de ponctuation, à l’exception de quelques tirets. Chaque poème semble être un accouchement difficile ou la narration saccadée d’un homme qui fut le témoin dune scène insoutenable. Peut-être Delbourg voit-il ainsi la vie ?

Jean Orizet, IN : Le Figaro magazine, avril 1985

Absence de pedigree

une épaule d’abord et puis l’autre

dans la salle des périodiques

contre la force centrifuge des incunables

s’adosse

pure rauque cervelle omnibus

l’éclat du minium sur la rambarde

goût du jour mâchonné

le poids des talons

déglutit le monde

jusqu’à l’extrême mesure du ciel adhésif

il pleut des portulans sur sa tête crue

étale ses gribouillages petits caillots écarlates

l’oeil des viscères descend sur l’extrastrong

hurle face aux molles taupes studieuses

emmitouflées maladives avachies sur restif

montesquieu saint-simon et autres stéthoscopes

tensiomètres marmonnant leur érythème fessier

fissure anale contre l’évanouissement des in-octavo

il prend l’allure courante des spectres en radoub

déballe ses amulettes marottes babioles

lui vieux con enfin libre

et bientôt derrière les enfants les fleurs les filles au balcon

sur vergé format raisin dans un corps univers

sous cette verrière silencieuse

voici trop court son souffle
vent six à huit beaufort

mollissant par l’ouest des zones

jour couleur de cendre sur le quartier cockney

de son grabat un vieux

parle sa vie au dictaphone

une femme ouvre les bras

pour mieux ne rien dire

des abeilles en plein décembre

sur les murs du bordel

une image remplace une image

empreinte boréale

derniers aromates

ici l’attente pourrait durer des millénaires

comme un animal

familier qui rêve ou désespère

Embargo sur tendresse

Le castor astral, 1986

Derrière une apparente désinvolture, ce livre prend des allures de manifeste du désengagement, voire déloge du détachement et de l’indifférence. Vivre semble alors comme un lent coma, un ralenti douloureux plongé dans une inexplicable fatigue. Un léger penchant pour la provocation et un humour d’un cynisme cinglant ne sont que les apparats d’un profond désespoir. Seuls les vertiges du vocabulaire et un sens aigu de la dérision viennent sauver l’auteur à la lisière de la tétanie. Ce désarroi démasqué est celui dune époque incertaine où il devient tentant de déclarer forfait face à l’aventure et au spectacle du monde. Tout autre est un intrus dans nos forteresses d’exil intérieur. Et si ce livre de démission n’était, dans sa lucidité et sa fragilité, que le reflet magnifié de nos incertitudes ? Un chant de mélancolie poussé à bout de mots sur l’écran de nos blessures.

se retrouver soudain vieux déjà

sans aucun lien de continuité

dans une chambre aux murs blancs

nue rigoureuse et pure

ayant seulement souvenir imprécis

d’avoir beaucoup voyagé

pour inventer un horaire aux nuages

dans le coeur des minerais cachés

ayant seulement conscience diffuse d’un monde bouche bée

corps en équerre grimaces humides

comme ramassé par le rêve pour être mieux emporté

il faut se souvenir écrire les traces

photographier ce qui reste sur l’échelon des lassitudes

bientôt d’un nénuphar naîtra tout le soleil

l’univers perdra ses feuilles mousson de plomb

il passera l’hiver dans la dérision de la lumière

la tristesse se transformera en blatte

la boue chuchotera sa patience il s’acceptera par défaut

ce sera une journée pour uniquement survivre

longtemps après les paysages se mettront en place

L’ampleur du désastre

Le cherche-midi, 1995

L’ampleur du désastre reprend, pour l’essentiel, nombre de poèmes publiés dans les différents recueils (Toboggans 1976, Cadastres 1979, Génériques 1983, Absence de pedigree 1984, Embargo sur tendresse 1986), qui ont fait de P. Delbourg le principal nom d’un cri montant des métropoles désespérantes, de la crise des valeurs et des identités ; d’une poésie qui n’est pas sans prolonger celle de la Beat Generation.

Dans ce réalisme éclaté, ce lyrisme prompt à intégrer les mots (les noms de marques, les anglicismes, le néologisme, etc.) les plus éloignés du lexique poétique habituel le sens du rythme et de la syncope sont déterminants . Le collage et le montage sont des techniques de base employées et variées à merveille. Proches du free-jazz, ces improvisations très travaillées arrivent souvent aux limites de la saturation mais sont toujours sauvées par un raccourci inattendu, une formule étonnante. L’écriture joue avec l’instrument biographique, en tire des sons aigus qui s’intègrent dans une narration que hachent les blancs, les citations et les subites cascades d’expressions.

Toutes les bribes d’histoires se situent dans les marges de notre fin de millénaire. Elles ont les sex-shop, les cinémas X, les trottoirs du petit matin pour décor ; et les voix de la radio, les images de la télévision pour uniques manifestations du sublime. Il suffirait que l’auteur se répète, que l’humour cesse d’être sous-jacent pour que tout s’abîme dans la complaisance. Il suffirait que la retenue perde un instant ses droits pour que cet expressionnisme sombre dans le mauvais goût. Mais le chroniqueur littéraire et musical (L’Evènement du jeudi), l’homme de radio (France Culture), le romancier viennent constamment épauler le poète, lui apporter leurs ouvertures… et cela ne se produit jamais. Cet univers tient de A à Z, grâce à une étonnante capacité de renouvellement.

Gérard Noiret, IN : La Quinzaine littéraire (1-15 janvier 1996)

regardez le vide

qui danse sur le fil

de nos vies saltimbanques

la ligne de soif de tant d’iris mortes

nul ne reviendra jamais de cet obscur vertige

regardez la vigie mascarade

qui gigote sur le film

de nos mémoires anthropophages

nul ne pourra

longtemps encore se tenir debout

arc-bouté contre le tsunami de l’enfance

Il est fou, ce Patrice Delbourg ! Voilà qu’il entraîne le poème dans une accélération interdite par des codes secrets. On trouve une overdose d’alcool et de stupéfiants divers dans le sang de la phrase. Il invente la poésie supersonique lancée par les fusées du désastre. Son titre : l’Ampleur du désastre, sans doute faut-il l’interpréter. A partir du désastre, il va créer l’ampleur, la splendeur, l’amplitude. Les noms propres de notre modernité, les noms communs qui nous agressent, tous ces mots vont se heurter, lutter au couteau, faire l’amour, se défaire, éclater. La richesse du vocabulaire, pas seulement emprunté au français, nous offre un feu d’artifice qui n’a rien d’artificiel. La phrase est hachée par des blancs, des silences. Elle est drue, surprenante…

On pourrait parler de délire verbal si l’on ne voyait que tout est maîtrisé, qu’il ne s’agit pas d’une inspiration vaguement lyrique car il y a dans ce chaos déploré une sorte d’émerveillement constant…

De la démesure, certes il y en a, mais c’est la situation qui la dicte et non une conception littéraire si hardie qu’elle soit. Mesure dans la démesure. L’ego recule devant ces séismes mais nous offre au passage quoi ? Du sentiment.

Oui, car Delbourg, parmi tout cela, fait jaillir des musiques, offre au désastre en question sa partition musicale. Il appartient bien à la famille de Corbière et de Laforgue, mais Lautréamont et Rollinat ne sont pas loin. Les titres des parties du livre empruntent au cinéma :  » Bande-annonce  » ou  » Génériques « , à la fête foraine et à la boxe : « Toboggans  » ou  » Demier round  » et l’on va de  » l’embargo sur tendresse  » au « désespoir fou ». Mais pourquoi suis-je sorti de cette lecture non pas fusillé par cette mitraille de mots, mais tout réconforté parce que c’est aussi tendre, parce qu’on est dans une sorte de cirque planétaire, parce qu’on découvre une musique inattendue. Chaque lecteur recevra ce livre avec sa sensibilité propre et ses contradictions. Il se peut qu’on l’adore ou qu’on le déteste. Moi, je l’adore comme on adore ce qui ne vous ressemble pas avec la petite nostalgie de ce que l’on voudrait être. Il est fou, ce Patrice Delbourg ! Fou de poésie.

Robert Sabatier. IN : L’Evènement du Jeudi, 7/13 déc. 95


Une poésie au néon

Ils sont plusieurs à décrire la misère du trottoir, de la banlieue, des petites heures blêmes et de la solitude dépeuplée, dans notre poésie. Le plus incontournable des poètes misérabilistes demeure aujourdhui Yves Martin. A sa suite, Patrice Delbourg a pris une place enviable car il ne craint pas d’utiliser un langage syncopé aux américanismes nombreux. Il s’agit dune poésie au néon, désespérée et coriace en même temps. Sa vigueur et sa hargne – mais il ne faut pas les séparer de la tendresse blessée – s’expriment sans vergogne dans un livre efficace et impitoyable, L’Ampleur du désastre. Patrice Delbourg écrit :

Je voudrais pas crever

sans me souvenir

une fois au moins du nom

de l’inventeur du gyroscope

accroché au plafond tête en bas comme une chauve-souris

je récapitule ma naissance jour après jour

hurlant rigodon

tête à peine meublée

mince couche de chair du squelette

chaque matin envie d’étrangler

en soi

cet acte secret

d’aimer encore.

Alain Bosquet, IN : Le Figaro Littéraire du 21 décembre 1995.


Vivre surprend toujours : journal d’un hypocondriaque

Seuil, 1994

Malade plus ou moins imaginaire, l’auteur a tenu un journal pendant un an. Jour après jour, il conte ses petits maux.

S . P. Fourier

Un certain Blatte

Le Seuil, 1989

Les pérégrinations dun employé modèle dans une banque du Marais, amoureux de Paris, collectionneur de toutes sortes de choses : réclames, génériques de télévision, articles de presse, photos…

Mélodies chroniques : la chanson française sur le gril

Le Castor astral

Delbourg défend une chanson d’urgence et d’émotion. Sont rassemblées dans ce livre iconoclaste certaines de ses chroniques sur la chanson française parues depuis quinze ans aux Nouvelles littéraires, puis à l’Evènement du jeudi.

Les désemparés : 53 écrivains au bord des mots

Le Castor astral, 1996

Derrière une écriture toute de fantaisie pour le style, toute de rigueur pour les renseignements et révélations, Patrice Delbourg offre un dictionnaire critique des grands maudits ou marginaux des lettres francophones.

L’Académie pas de chance

Sur les traces de Charles Monselet, Patrice Delbourg monte sa galerie de portraits. Il y a soigneusement classé 53 poètes et romanciers par date de naissance. De Charles Cros (1842) à Jean-Philippe Salabreuil (1940), Les Désemparés couvrent un siècle de littératures buissonnières.

On imagine d’emblée qu’un aréopage saugrenu y réside, des marginaux fantasques, des malchanceux de toujours et qu’on les a enfin extirpés de leurs mystères, dégagés du guignon.

« Ni anthologie, ni florilège, ni manifeste, ni dictionnaire critique. Peut-être un choix de visites fraternelles chez quelques auteurs singuliers, insolites. » C’est à la fois le livre des grandes lectures et le fruit des angoisses d’un critique dont le travail est par nature condamné à la dispersion. Journaliste et écrivain, Patrice Delbourg souhaitait laisser à ses articles la chance qu’ont ses créations.

Aussi a-t-il repris les papiers qu’il donnait naguère aux Nouvelles Littéraires, à L’Evénement du jeudi dont il assure aujourd’hui la chronique littéraire pour leur donner un nouveau souffle, une cohérence peut-être, un sursis.

Augiéras, Kowalski, Péret, Brauquier, Hyvernaud, Follain, Reverdy, Prével, Fourest, Calaferte, Robin… Les bibliophages ne feront pas beaucoup de découvertes et seront même surpris de trouver encore Cros (dont l’Atelier du Gué publiait des inédits en 1992!), Bove, Gadenne ou Calet là où ne manquent pas -jamais- les vrais inconnus. Le terme de  » désemparé  » lui-même paraîtra abusif puisqu’il mêle aux douleurs d’André de Richaud le désarroi de Benjamin Fondane, les grosses colères de Darien aux douceurs de Norge. Cependant des pages qui comptent autant de suicidés (Giauque, Duprey, Luca…) peuvent bien admettre le mot qui rejoint toutes ces manières d' »être contre soi ».

Reste qu’à fréquenter la prose joueuse de Patrice Delbourg, on prend le goût de relire Jean de La Ville de Mirmont, Jean Forton, Chaval ou Paul Chaulot. Et même s’ils ne poussent personne à la lecture éreintante de l’hétéroclite Jean-Pierre Brisset, Les Désemparés peuvent devenir le premier guide d’une génération de lecteurs, celle qui n’a pas encore découvert Jean-Pierre Dadelsen, Stanislas Rodanski, Salabreuil ou Gérald Neveu. Elle trouvera du plaisir à baguenauder sur les chemins de traverse débroussaillés souvent par de petits éditeurs, au coeur de ce  » territoire de ferveur et d’extravagance « 

Eric Dussert, IN : Le Matricule des Anges, 17, sept.-oct. 1996

Exercices de stèles

Dessins de Jean-Pierre Cagnat

Le Félin, 1996

Cent portraits d’écrivains à la plume, au crayon et au vitriol. De Balzac nouveau-né à Jünger patriarche, de Rabelais dans ses langes à Fontenelle à bout de course… Une chronologie tantôt fantaisiste, tantôt clinique, tour à tour farfelue, romantique, scabreuse ou rêvée.

Voici tout un siècle fictif de petits posthumes

sur mesure.

Du Boulevard Ossements

jusqu’à Cent Ans de mortitude,

après avoir fait mille concessions

– et pas toujours à perpétuité -,

les auteurs se sont finalement arrêtés

sur Exercices de stèle,

clin d’oeil à Raymond Queneau,

bien que celui-ci soit inexplicablement absent

de ces éphémérides.

Il ne s’agit pas ici de la seule étrangeté du propos.

Pourquoi la mort d’un écrivain et pas sa naissance,

vous direz-vous ?

L’enjeu peut paraître négatif, monomaniaque,

décourageant, bref peu attractif.

De la licence IV à la licence poétique,

les disparitions littéraires sont souvent plus intéressantes

que les premiers balbutiements en grenouillère.

Question de recul.

On rencontrera des génies planétaires

comme de sombres plumitifs entendant bien le rester.

Les auteurs d’une seule oeuvre, tels Corbière ou Amiel,

côtoient des démiurges incontinents,

Georges Simenon ou Agatha Christie par exemple.

La mathématique est présente avec Évariste Galois,

la loufoquerie n’est pas en reste,

sur les talons de Pierre Dac.

Pour certaines années particulièrement chargées,

le choix a été déchirant. Il a fallu laisser au marbre,

si l’on peut dire, des noms comme Stendhal,

Pouchkine, Molière, Conrad, Joyce, Melville, Dante,

Woolf, Tchekhov, Diderot, Shakespeare, Lamartine

(qu’est-ce qui passe par la cheminée ?).

Parfois, dans des cas proches de la guérilla civile,

il y eut entorse, aménagement, mais si minime.

Hormis ses aspects ludiques, impressionnistes,

cliniques, informatifs ou de profonde mauvaise foi,

cet opus peut se compulser comme un sablier intime.

Pour tester sa propre endurance en regard d’écrivains

que le lecteur aura  » déjà enterrés  » .

Tiens, j’ai fait mieux que Baudelaire !

ou bien vis-à-vis de ceux dont l’âge de la mort

peut devenir un but en soi :

Ah ! rivaliser avec Soupault, Shaw ou Monfreid !

On notera distraitement,

à l’usage des hagiographes patentés,

qu’en additionnant l’âge des deux auteurs,

on flirte avec Fontenelle… Ce qui n’est pas une piste.

Tout juste une faiblesse.

.

Ceccaty, René de

RENE DE CECCATTY

René de Ceccatty est né le 1er janvier 1952 à Tunis. Il est romancier, traducteur, critique littéraire et éditeur. Il a fait des études de philosophie. Il a vécu au Japon et en Angleterre. Il collabore régulièrement au Monde des livres. Il fait partie du comité de lecture des éditions du Seuil.

Il travaille également pour le théâtre avec le metteur en scène argentin Alfredo Arias pour lequel il a participé à l’écriture de Mortadela (Molière du Meilleur Spectacle Musical 1993), de la traduction de Cachafaz de Copi (Théâtre de la Colline, 1993), des chansons de Fous des Folies (Folies Bergères, 1993-1994), du one-woman-show Nini (Théâtre du Petit Montparnasse, 1995), de Faust Argentin ( Théâtre de la Cigale, 1995, Mogador, 1996).

Expérience éditoriale
Lecteur chez Denoël à partir de 1980.
Lecteur chez Gallimard 1982-1986.
Attaché à la direction littéraire chez Gallimard en 1987.
Directeur littéraire chez Michel de Maule en 1988.
Directeur de la collection  » Haute Enfance  » chez Hatier depuis 1989-1992, chez Gallimard à partir de 1992.
Conseiller littéraire aux éditions Stock, 1994
Conseiller littéraire, membre du comité de lecture des éditions du Seuil, depuis février 1995

Expérience journalistique
Collaborations à de nombreuses revues : NRF, Quinzaine littéraire, Magazine littéraire, Europe, Nuovi Argomenti, Il Messaggeroetc.
Critique littéraire au Monde depuis décembre 1988.

René de Ceccatty
Une vie partagée entre la littérature, l’écriture, le rêve et l’art

Dans La sentinelle du rêve vos personnages ne perçoivent la réalité qu’à travers des filtres littéraires ou philosophiques et leur vie éveillée compte moins que leur vie rêvée.
Pour vous, l’écriture est-elle un rêve qui permet de vivre ?

Il y a la littérature, l’écriture, le rêve et l’art. J’ai écrit La sentinelle du rêve dans une période où je renonçais presque à la vie. Je travaillais chez Gallimard mais je n’étais pas fait pour une existence régulière, salariée, ce que je n’ai plus au Seuil où je me sens plus libre. J’ai compris que ce qui constituait vraiment ma vie était la littérature et le rêve. La littérature à travers Violette Leduc et Pasolini qui sont les modèles des personnages du livre et également Foucault dont j’évoque la mort et qui a joué un grand rôle dans ma formation. Je m’intéressais au rêve et à la littérature comme si je ne pouvais plus, avec ma vie affective et corporelle, m’installer vraiment dans le monde. La revanche de l’écrivain est de contrôler ce qui dans sa vie ne l’est pas du tout. Je donne beaucoup d’importance au rêve parce que c’est un moment où les choses se réorganisent de manière parfois très forte et très structurée selon un autre cheminement que dans la littérature. Le rêve est un guide. Linconscient se structure selon des systèmes métaphoriques qui lui sont propres. C’est fascinant pour un écrivain. J’ai beaucoup réfléchi à la liberté de l’écriture jusque dans l’intimité. J’ai écrit ce livre pour décrire l’état psychologique dans lequel j’étais de renoncement au monde.

Dans plusieurs de vos écrits dont Aimer, L’accompagnement, Le diable est un pur hasard… vous mêlez votre vie et la fiction sans délimiter de frontière.

C’est vrai que j’ai brouillé les cartes. Dans mes livres, je me suis servi d’éléments autobiographiques marquants.Dans Aimer, je me suis donné la totale liberté de réinterpréter, de falsifier en partie des éléments et d’intégrer des personnages de fiction.

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Au moment où jai écrit Aimer, je voulais parler d’un événement de ma vie qui m’obsédait, une histoire d’amour avec celui qui se prénomme Hervé dans le roman.

C’était une histoire extrêmement douloureuse et je ne voulais pas en parler directement pour ne pas donner de détails qui risquaient de trahir celui dont je parlais. Parler d’une histoire malheureuse c’est entrer dans l’intimité de deux êtres or le regard que l’on porte à travers l’amour est un regard partial. J’ai donc eu recours à un personnage très proche de moi et en même temps totalement différent, Harriet Norman. Elle allait parler sur moi d’une manière plus légère que je ne l’aurais fait moi-même. J’étais heureux de retrouver une amie. Je l’ai fait mourir parce que c’était une très vieille dame. J’ai introduit un personnage imaginaire Ishmael que beaucoup de lecteurs ont cru réel. Ishmael portait sur moi un regard extrêmement bienveillant, il était mon garde-fou.

Ishmael, étant un hétérosexuel tout à fait libre, rappelait que le drame vécu par le narrateur n’était pas l’homosexualité mais un amour malheureux.

Cela me soulageait d’entendre cette voix lucide. C’était une manière de me rappeler que le problème que je décrivais n’était pas uniquement celui d’Hervé mais aussi le mien. Je m’étais enferré dans une situation dont je n’arrivais pas à sortir sinon par la littérature. Mais la littérature a des limites, on continue à être seul. Le lien entre la fiction et l’autobiographie se retrouve dans mes premiers livres.

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En relisant La sentinelle du rêve pour la parution en Points Seuil, j’ai découvert que les personnages féminins complètement imaginaires avaient des histoires amoureuses inventées qui décrivaient déjà l’état que j’allais connaître dix ans plus tard. L’écrivain met à nu son fantasme en concevant un roman et ses rencontres prennent place dans une structure mentale d’une incroyable rigidité.

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La limite entre la fiction et la vie réelle est extrêmement fragile. La vie intérieure appartient à la fiction. Dans l’attente, l’espoir, nous passons notre temps à constituer des romans.

Quand on est inquiet pour quelqu’un que l’on aime on structure un délire imaginaire qui suit exactement les mêmes lois que la construction d’un roman ; pas en totalité peut-être, mais l’angoisse suit les lois de la construction d’une véritable intrigue. Il est donc naturel qu’il y ait ce glissement de la fiction à l’autobiographie.

Aimer est constitué de petits chapitres. Est-ce que pour vous la vie est une somme d’éclats ?

Pour Aimer c’est particulier. Je crois que dans la structure amoureuse, dans la passion, on interprète tous les événements qui concernent les rapports entre deux personnes, homme et femme, homme et homme, on réalise un travail d’enquête comme dans une histoire policière. J’ai écrit le livre de manière continue. Mon manuscrit ne comportait aucun chapitre, aucun titre et c’est en le recopiant sur l’ordinateur que je l’ai divisé en chapitres. J’ai compris que j’avais écrit des saynètes chacune autour d’un objet symbolique. Le livre est rythmé, ce qui permet de le lire extrêmement vite mais cela ne veut pas dire que ce soit ma perception systématique du monde. Il est vrai que la plupart de mes livres ont été structurés en chapitres brefs avec une idée forte chaque fois mais aucun de mes livres n’a été écrit sous cette forme au départ. J’ai toujours mis les titres des chapitres après coup.

Vous donnez beaucoup d’importance à la correspondance et au manuscrit.
Dans Aimer et dans Le diable est un pur hasard vous parlez de manuscrits.

Oui, la correspondance compte beaucoup pour moi, j’écris beaucoup de lettres et j’aime avoir des relations épistolaires avec des amis. Je dis souvent aux écrivains qui débutent, d’écrire sous des formes diverses, de rédiger des journaux intimes, des lettres. Il est très important d’avoir plusieurs approches de l’écriture.

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La correspondance est essentielle, car elle rend les choses parfois fausses dans leur rapport écrit, mais l’imagination est nécessaire si l’on veut se construire face à l’autre en rendant abstraite la relation. Je suis obsédé par l’abstraction des rapports humains et, par ailleurs, par leur sensualité : je suis obsédé par le détachement, la spiritualité et les rapports complètement intellectuels.

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Je suis aussi passionné par les manuscrits. J’ai publié plusieurs manuscrits d’amis morts. Ce fut une expérience douloureuse et en même temps, j’étais heureux de pouvoir prolonger leur vie d’une certaine manière en publiant par exemple, Mémoires d’un jeune homme devenu vieux, les carnets de Gilles Barbedette qui sont très émouvants et vont au coeur du désespoir de la maladie. J’ai aussi publié La maison Niel, les souvenirs d’enfance posthumes, de Jean-Baptiste Niel qui était un grand ami et qui est mort du Sida en 1995.

J’ai publié le dernier roman de Rabah Belamri Chroniques du temps de l’innocence. Pour moi, c’est un acte de respect par rapport à des oeuvres que j’admire et des écrivains qui étaient des amis.

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Dans L’accompagnement votre rapport au temps n’est pas linéaire et ainsi vous redonnez vie à un ami.

L’accompagnement a permis de prolonger un dialogue qui était à peine ébauché. Je ne le considère pas comme mon livre mais comme un livre écrit sous surveillance si l’on peut dire. Gilles Barbedette m’avait dit à l’hôpital qu’il n’avait plus la force d’écrire. C’était un acte militant car je voulais décrire le regard de Gilles sur la vie hospitalière. Il s’est révolté contre l’intrusion dans l’intimité, contre la dépossession de l’identité à l’hôpital. Il voulait parler de la douleur, de la moralisation de la souffrance quand on lui refusait des analgésiques. Il y avait aussi ses rapports avec les infirmières et les infirmiers qui étaient conflictuels ou admirables comme je le raconte à propos d’Annick qui est une femme vraiment fabuleuse. Elle a compris immédiatement le type d’attitude qu’elle devait avoir. Je parle aussi d’un médecin qui a eu une attitude tout à fait remarquable. Un travail objectif concernait Gilles mais je n’étais pas préparé à cette douleur d’accompagnement très aiguë dont il m’avait chargé. Il ne se rendait pas compte qu’il quittait le monde et que j’échangeais ce dernier regard humain avec lui. J’ai mesuré l’horreur de cette situation par la suite.

Le livre est très littéraire.

Le style doit l’emporter quoique ce livre soit écrit de manière extrêmement simple, mais bien sûr il comporte une mise en scène, une constitution strictement littéraire. Je ne voulais pas mettre entre parenthèses ma personnalité d’écrivain. J’allais parler de la douleur, de l’horreur de mourir dans un hôpital en prenant un certain nombre de précautions dans la manière de raconter.

Vous avez beaucoup de relations au théâtre, est-ce que la vie se déroule sur la scène ou en dehors ? La frontière est ténue.

Oui, c’est une ambiguïté. J’aime beaucoup Pirandello qui a écrit sur ce thème. Au théâtre l’émotion vient sans doute de la contradiction apparente entre la conscience d’assister à une fiction et la présence corporelle des comédiens qui créent un sentiment conflictuel et une émotion bouleversante. J’ai traduit une pièce de Moravia qui a été jouée à l’Odéon et j’ai surtout rencontré Alfredo Arias, metteur en scène argentin dont j’appréciais beaucoup le travail et avec qui j’ai collaboré à de nombreuses pièces, souvent musicales. J’ai suivi la préparation d’une demi-douzaine de ses spectacles en assistant parfois à toutes les répétitions.

Vous avez choisi la littérature

Oui, parce que je suis réservé et solitaire dans mon travail mais j’aime aussi le travail collectif. Je traduis avec un ami japonais Ryôji Nakamura. Au théâtre, l’artiste est comme un intermédiaire par rapport à une réalité artistique. Quand il écrit, quand il peint, quand il compose, l’artiste n’est pas complètement l’auteur de ce qu’il est en train de créer mais il est au service d’une réalité artistique dont il est l’interprète. Cela peut paraître paradoxal dans une oeuvre autobiographique et intimiste, mais il faut avoir cette idée pour que l’oeuvre ne soit pas strictement narcissique et renfermée sur elle-même.

Vous avez aidé des auteurs à se révéler ?

J’aime lire des manuscrits et découvrir des auteurs pour les éditer mais je n’aime pas entretenir de rapport paternaliste. Un écrivain doit sentir chez son interlocuteur une écoute, une attente mais c’est lui qui maîtrise son livre. Un écrivain qui est éditeur ou simple lecteur sert la littérature et il est nécessaire qu’il ait le même enthousiasme pour les livres des autres que pour ses propres livres, en aidant à la naissance de l’oeuvre d’un autre. J’ai édité des livres très différents parce que j’aime entrer dans d’autres systèmes littéraires. C’est pour cela que j’aime aussi la littérature étrangère.

Vous avez traduit beaucoup d’ouvrages de l’italien et du japonais, vous découvrez des univers très divers.

J’ai souvent réfléchi à la raison qui m’a poussé à tant traduire. J’ai commencé à traduire en écrivant quand j’étais encore enfant. J’ai un rapport très profond avec l’Italie parce que j’ai été élevé en Tunisie et que la personne qui s’occupait de moi était italienne. La deuxième motivation fut la découverte de Pasolini et c’est pour lui que j’ai vraiment appris l’italien. J’ai rencontré une littérature qui me parlait directement, une culture qui me révélait quelque chose d’intime. Bien sûr, c’est lié au rôle fondateur de l’Italie dans la culture européenne. Pour le Japon, le hasard a joué, j’ai été envoyé comme coopérant au Japon alors que je n’avais aucun lien avec ce pays. J’ai appris le japonais à ce moment-là et j’ai travaillé avec Ryôji Nakamura avec qui j’ai vécu et signé toutes mes traductions. J’ai découvert une littérature philosophique puis des textes classiques. On a conçu une anthologie, Mille ans de littérature japonaise. (Ed. La Différence, 1982 – Réed. fév. 98 ; Philippe Picquier)

Quel rôle joue la traduction dans votre propre écriture ?

Un rôle de premier plan : j’ai traduit des livres littéraires, des livres moins littéraires, des romans sentimentaux…Traduire des livres divers permet d’avoir une certaine distance par rapport à soi et aux mots. Cela aide à trouver sa propre voix. J’ai traduit Moravia par hasard, son traducteur avait trop de travail. Il m’a demandé de le remplacer. J’ai sympathisé avec Moravia et j’ai traduit tous ses derniers livres. Ce qui m’intéressait en traduisant Moravia pour qui j’avais une très grande admiration intellectuelle, c’était de voir comment fonctionnait un cerveau tout à fait différent, avec une autre personnalité, un autre âge, une autre génération, un autre cheminement. De plus il avait une renommée internationale et une faculté à s’intéresser à beaucoup de choses.

Quand je traduis Pasolini ou le japonais Sôseki, que je ressens intimement proches de moi, je me reconnais à travers des écrivains pour qui j’ai une grande admiration. Ils ont une personnalité écrasante mais qui m’aide à me trouver moi-même. Kôbô Abé a un univers fantasmatique très éloigné de moi mais en même temps un univers fantasmatique minutieusement structuré. L’approche d’une langue à travers des idéogrammes permet une autre vision de la littérature. C’est une ascèse d’entrer dans cet univers. C’est long, très obsessionnel. Il faut respecter le style de l’auteur et surtout respecter le rapport entre le style de l’auteur et la langue d’origine mais ce travail sur la langue japonaise, je n’aurais jamais été capable de le faire seul.

Vous êtes aussi critique littéraire.

Oui, c’est un travail que j’aime vraiment beaucoup. La critique littéraire consiste à réfléchir sur le fonctionnement de la littérature selon des optiques très diverses. J’écris surtout sur la littérature japonaise et italienne dans Le Monde des livres mais il m’arrive aussi d’écrire sur des écrivains français ou anglais. Pasolini a tenu quelques années une chronique littéraire dans Il Tempo, j’ai fait un choix de ses textes que j’ai traduits en français sous le titre de Descriptions de descriptions. C’est un modèle de critique littéraire. Je crois qu’un chroniqueur n’est intéressant que s’il parle de son propre rapport à la littérature et à la vie. Dans mes articles, j’écris des choses très intimes mais qui sont codées bien sûr.

Extraits des propos recueillis par Brigitte Aubonnet
IN : Encres vagabondes, 1997.

Depuis la parution en 1982 de Mille ans de littérature japonaise – une anthologie du VIIIe au XVIIIe siècle (La Différence ; réed. Philippe Picquier, 1998), en collaboration avec Ryôji Nakamura, René de Ceccatty n’a jamais cessé de traduire cette langue.

Comment êtes-vous venu à la langue japonaise ?

Par hasard. En 1977, professeur de philosophie, je débarque à Tôkyô pour enseigner dans le cadre de la coopération. Au ministère des Affaires étrangères, on m’avait proposé le Japon et je n’avais pas le choix. A l’époque, le pays était peu organisé pour les étrangers en transit. Les traductions en caractères latins étaient peu courantes dans le métro, aux concerts et dans la vie quotidienne en général. J’avais envie de participer à la vie culturelle, d’aller au théâtre… Il m’a fallu donc m’initier au japonais, par moi-même, avec des étudiants, puis dans une école de langues. Une fois rentré en France, je me suis inscrit à l’Inalco (ndlr : Langues Orientales). J’avais alors un niveau intermédiaire. Mais j’ai eu du mal à m’intégrer dans leur système d’enseignement.
Je suis parti en Angleterre.

Et la traduction, quand avez-vous commencé ?

A Tôkyô j’enseignais la langue française, la civilisation et la philosophie. Ce cours exigeait le niveau de langue le plus élevé. Parmi mes élèves j’ai rencontré Ryôji Nakamura, qui revenait de Paris et parlait parfaitement français. Il est devenu un ami très proche. Je voulais traduire un texte de philosophie pour l’éditeur qui allait publier mon premier livre. Ryôji m’a parlé de Shôbôgenzô de Dôgen, le fondateur de la secte sôtô de zen. C’est par des extraits commentés de ce texte d’une extrême difficulté que nous avons commencé. La traduction a paru en 1980 à la Différence. Gilles Deleuze, Philippe Sollers et différents intellectuels l’ont remarquée. Mais avant cela, quand je suis revenu en France, Ryôji, lui, s’est installé en Angleterre afin de se perfectionner en anglais. Je l’ai rejoint dans le sud du Devon où nous avons vécu quelques mois.

Nous avons alors eu l’idée d’élaborer une anthologie de la littérature japonaise classique, pour les Editions de la Différence. Elle ressort cet automne chez Picquier en collection de poche, dans une version légèrement remaniée. (Fev. 98)

Quelle est la période « classique » de la langue japonaise ?

Elle est beaucoup plus vaste qu’en Occident. Le sommet de la littérature se situe à l’époque de Heian, c’est-à-dire du VIIIe au XIVe siècle. Mais l’âge classique, au sens large, va jusqu’à la fin d’Edo, c’est-à-dire jusqu’au dernier tiers du XIXe siècle. A la fin du siècle dernier, la langue parlée commence à s’intégrer dans la littérature, comme ce sera complètement le cas au XXe siècle.

L’anthologie que nous avons traduite présentait plusieurs caractères particuliers. D’une part, tous les textes étaient traduits par nous. Ils étaient alors tous inédits en français. Certains y figuraient dans leur intégralité, ce qui donnait une originalité à ce volume.

Plusieurs journaux de cour du XIe siècle, écrits par des femmes furent alors connus…

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Quelle est votre méthode de travail ?

Tous les livres que j’ai traduits du japonais l’ont été avec Ryôji, contrairement à ce que l’on croit parfois, c’est un vrai travail à quatre mains. Nous travaillons ensemble sur le texte que nous lisons simultanément et interprétons d’abord oralement, puis par écrit. Ryôji a, bien entendu, une connaissance beaucoup plus profonde du japonais. Mais, en travaillant ensemble, nous évitons tout malentendu.

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Quelles sont vos autres activités ?

Pour vivre j’ai dû beaucoup traduire, notamment quand j’ai quitté Gallimard. J’ai même traduit de la littérature sentimentale et des best-sellers. J’ai commencé à collaborer au Monde à la fin 1988, sur la proposition d’Hector Bianciotti, avec qui je travaillais chez Gallimard, et de Josyane Savigneau. Et j’écris également pour le théâtre, en collaboration avec Alfredo Arias dont jai publié au Seuil le premier livre, une sorte de roman autobiographique, des mémoires imaginaires : Folies-Fantômes. (Le Seuil, 1997)

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Avec tous les livres que vous avez traduits, pourriez-vous vivre de vos traductions ?

Non. Pas du tout. Une traduction est payée en à-valoir de droits d’auteur. Nous percevons une avance de 1 à 2% des droits. Les livres qui ont le mieux marché, ce sont les Amours interdites, de Mishima -et cela parce que son image d’homosexuel le fait vendre en France et à l’étranger. Et Sôseki, dont Oreiller d’herbes a été un succès inattendu chez Rivages. Et bien sûr, Kenzaburô Oé, grâce au Nobel. Mais cela dépasse difficilement les vingt mille exemplaires. Oé ne les atteint pas. Loin de là.

Critique, traduction, édition, romans. Quelle est votre activité principale ?

Selon les périodes, les unes prennent le dessus sur les autres. J’aurais tendance à dire que mon activité la plus profonde, la plus essentielle est celle de romancier. Mais l’édition, la critique me prennent aussi beaucoup de temps, parce que je n’aime rien faire superficiellement. Et que, contrairement à la plupart de mes confrères, j’aime beaucoup les autres écrivains…

Extraits des propos recueillis par Alexandre Rosa dans Pagina

Bibliographie

  • Personnes et personnages ; La Différence, 1979
  • Jardins et rues des capitales ; La Différence, 1980
  • *Esther ; La Différence, 1982
  • *L’extrémité du monde ; Denoël, 1985. Prix de lAsie
  • *L’or et la poussière ; Gallimard, 1986. Prix Valery Larbaud
  • *Babel des mers ; Gallimard, 1987
  • *La sentinelle du rêve ; Michel de Maule, 1988 ; Points Seuil, 1997
  • Létoile rubis ; Julliard, 1990
  • *Rue de la Méditerranée ; Hatier, 1990
  • *Nuit en pays étranger ; Julliard, 1992
  • *Le diable est un pur hasard ; Mercure de France, 1993
  • *Violette Leduc, éloge de la bâtarde ; Stock, 1994
  • *L’accompagnement ; Gallimard, 1994 ; Folio, 1996
  • *Laure et Justine ; Lattès, 1996
  • *Aimer ; Gallimard, 1996 ; Folio, 1998
  • *Consolation provisoire ; Gallimard, Mars 1998

En collaboration avec Ryôji Nakamura

  • *Mille ans de littérature japonaise, La Différence, 1982 ; Picquier, 1998
  • *La princesse qui aimait les chenilles, Hatier, 1987

En collaboration avec Alfredo Arias

  • *Faust argentin, Actes-Sud, 1996
  • *Le Père Noël du siècle, Seuil-Jeunesse, 1996

* : à la médiathèque
Bibliographie des traductions
Traductions de litalien :

  • L’évangile selon Judas, Giuseppe Berto, Denoël
  • L’odeur de l’Inde, Pasolini, Denoël
  • Descriptions de descriptions, Pasolini, Rivages
  • Amado Moi, Pasolini, Gallimard
  • Poésie (1943-1970), Pasolini, Gallimard
  • Correspondance générale (1940-1975), Pasolini, Gallimard
  • Pasolini, biographie, Nico Naldini, Gallimard
  • *Pétrole, Pasolini, Gallimard
  • Histoire de la cité de Dieu, Pasolini, Gallimard, à paraître
  • La chose, Moravia, Flammarion
  • *Lhomme qui regarde, Moravia, Flammarion
  • Le voyage à Rome, Moravia, Flammarion
  • Trente ans au cinéma, Moravia, Flammarion
  • *La femme léopard, Moravia, Flammarion
  • Promenades africaines, Moravia, Flammarion
  • La polémique des poulpes, Moravia, Flammarion
  • Le petit Alberto, Moravia et Maraini, Michel de Maule
  • Lange de linformation, Moravia, Gallimard
  • Le cimetière chinois, Mario Pomilio, Denoël
  • Femme par magie, Stefano dArrigo, Denoël
  • Hermaphrodito, Alberto Savinio, Fayard
  • La boîte à musique, Alberto Savinio, Fayard
  • *Un peu de fièvre, Sandro Penna, Michel de Maule, Grasset  » Cahiers Rouges « 
  • Le capitaine au long cours, Roberto Bazlen, Michel de Maule
  • Lamour heureux, Dario Bellezza, Salvy
  • Ciel ancien, terre nouvelle, Ginevra Bompiani, Gallimard
  • Le grand ours, Ginevra Bompiani, Stock
  • La maison aux lumières, Paolo Barbaro, Stock
  • Ghigo, Giuseppe Bonaviri, Hatier
  • Le roman d’Angelo, Luchino Visconti, Gallimard
  • Le chemin du retour, Enrico Palandri, Liana Levi
  • Le stade de Wimbledon, Daniele del Giudice, Rivages
  • Chantilly Express, Andrea De Carlo, Rivages
  • Couleur du temps, Umberto Saba, Rivages
  • Ombre des jours, Umberto Saba, Rivages
  • Le Canzoniere, Umberto Saba, LAge dhomme
  • J’aime donc je suis, Sibilla Aleramo, Julliard
  • *Femmes de Trieste, Umberto Saba, José Corti

Traductions du japonais en collaboration avec Ryôji Nakamura :

  • *Le jeu du siècle, Kenzaburô Oe, Gallimard
  • M/T et les merveilles de la forêt, Kenzaburô Oe, Gallimard
  • Lettres aux années de nostalgie, Kenzaburô Oe, Gallimard, à paraître
  • *Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants, Kenzaburô Oe, Gallimard
  • Rendez-vous secrets, Kôbô Abe, Gallimard
  • L’arche en toc, Kôbô Abe, Gallimard
  • *Cahier kangourou, Kôbô Abe, Gallimard
  • *Histoire de ma mère, Yasushi Inoué, Stock
  • Le village aux huit tombes, Seishi Yokomizo, Denoël
  • Masques de femmes, Fumiko Enchi, Gallimard
  • *Oreiller d’herbes, Sôseki, Rivages
  • *Clair-obscur, Sôseki, Rivages
  • Le 210e jour, Sôseki, Rivages
  • Le voyageur, Sôseki, Rivages
  • A travers la vitre, Sôseki, Rivages
  • Svastika, Tanizaki, Gallimard
  • La vie secrète du seigneur de Musashi, Tanizaki, Gallimard
  • *Les amours interdites, Mishima, Gallimard
  • Shôbôgenzô, Dôgen, La Différence
  • Yasujirô Ozu, Shigehiko Hasumi, Cahiers du Cinéma, à paraître

Traductions de l’anglais :

  • Contes hiéroglyphiques, Horace Walpone, Café-Climats, Mercure de France
  • La mère mystérieuse, Horace Walpone, José Corti

* : à la médiathèque

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Blanc, Jean-Noël

Né en 1945. Travaille à Lyon où il est sociologue spécialisé dans l’architecture et l’urbanisme et vit à Saint-Etienne. Entre ces deux villes, ses trois enfants et ses quatre chats, il écrit, essentiellement des nouvelles, parce qu’il apprécie le plaisir technique de  » faire court « . Comme ces textes brefs ont souvent, de l’un et l’autre, des thèmes qui se recoupent et des personnages qui se retrouvent, il baptise  » roman-par-nouvelles  » les recueils qui les rassemblent. « auteur (de romans, de nouvelles, et de  » romans-par-nouvelles « ) par besoin et par bonheur cycliste (du dimanche) par pur plaisir.

Sociologue (de l’architecture et de la ville) par hasard et par intérêt

 » du même auteur  » :

* La légende des cycles, Quorum, 1996

*Jeu sans ballon, Seuil, 1996

*Hôtel intérieur nuit, HB éditions, 1995

(Prix Renaissance de la nouvelle – Belgique)

*Galipettes arithmétiques choisies, Le Dilettante, 1993

*Langue de chat, La Farandole, 1993. [Réed. Pocket 1995]

*Fil de fer la vie,. Page blanche, Gallimard, 1992

(Totem Télérama/Salon de Montreuil du roman de jeunesse)

*Polarville, Presses Universitaires de Lyon, 1991

* Esperluette et compagnie, Seghers, 1991

(Prix de la nouvelle du Mans) (Prix Charles Exbrayat)

*Penalty, Dumerchez, 1990

Chiens de gouttière, Seghers, 1989. Epuisé.

Bardane par exemple, Ramsay, 1986. Epuisé.

Alors comme alors, Ramsay, 1985. Epuisé.

(Prix littéraire de la ville de Lyon)

L’Un ou les ciels peints, Fédérop, 1977.

*= à la médiathèque

_______________________________ Hôtel intérieur nuit

Dessins originaux de Pierre-Noël Bernard
HB, 1995

Prix Renaissance de la nouvelle, 1996

Des destinées diverses et des sorts opposés se croisent, s’évitent, s’ignorent, se rencontrent, se frôlent ou se fuient dans un même hôtel, au cours dune seule nuit.

 » On croise plein de gens de divers milieux aux prises avec les soucis de la vie. […] Jean-Noël Blanc les peint avec tendresse. […] cette tendresse, peut-être, qui prend de plus en plus de poids dans l’écriture quand un écrivain arrive à la cinquantaine « .
La Liberté de lEst

Ville extérieur nuit

C’est une rue mince et de renommée courte. Elle ne fait pas de manières. Elle ne fait pas de tintamarre non plus. Elle s’ouvre en catimini sur l’avenue de la gare, et conduit à une petite place carrée qu’on ne découvre qu’au dernier moment, comme par surprise.

Entre l’avenue et la place, elle abrite l’hôtel.

Le bâtiment ne paie pas de mine. C’est un de ces établissements qui conviennent à des voyageurs sans gloire et sans attache. Il est coincé entre deux immeubles qui l’écrasent un peu, sa façade a les épaules étroites et le buste long, elle se décolore au fil des saisons, et personne n’y prête attention. Les murs sont à présent couleur de temps qui passe, et le temps n’en finit pas de passer.

Le soir, longtemps après que les grandes brasseries de l’avenue ont éteint leurs néons, seul l’hôtel demeure éclairé. Entre les façades obscures de la petite rue, il retient dans la nuit une poignée de lumière jaune. Elle s’échappe par la porte ouverte, coule sur le trottoir, y dessine une manière de tapis.

Cette amabilité plaît aux amoureux. Ils tournent le dos à la gare et à l’avenue pour s’enfoncer dans la petite rue. La clarté de l’hôtel les attire. C’est une lumière à hauteur d’homme. Elle habille le trottoir, et, tandis qu’ils la frôlent sans oser la piétiner, elle agite leurs songeries.

C’est qu’ils ont des gourmandises de secrets. Ils cherchent des abandons dans des replis de ténèbres, et des mystères dans des lueurs de lanterne.

Parfois leur marche s’interrompt. Un porche abrite leurs tendresses fugitives. Sur les pierres de la porte cochère, un réverbère diffuse des douceurs. La ville a pour eux des bontés d’encoignures.

Puis, enlacés, ils reprennent leur flânerie jusqu’à la petite place du bout de la rue. Ils contemplent les lampadaires bas, les marronniers lourds, la clarté rabattue vers le sol sous les feuillages d’un vert fixe et précis comme une peinture .

Il fait une nuit à ne pas dormir. La chaleur du jour s’est attardée, elle a pris ses aises, elle s’étale. Une tiédeur vagabonde. Des parfums battent le pavé. Des chimères obscures courent les rues. Il vient aux citadins des appétits de ville…

Et bien dautres histoires

(chambre 09)

Ahmed dit que, dans ce métier, des choses, il en voit, et des gratinées. Il s’est penché en avant et a posé les coudes sur le comptoir de la réception. Toute la nuit à veiller dans un hôtel qui dort, et toutes ces heures à attendre le client, il dit qu’il pourrait en raconter sur ce qu’il a vu. Des vertes et des pas mûres. Il jette un coup d’oeil à gauche, à droite, pour repérer si personne ne vient. Sa tête ne suit pas le mouvement. Il ne bouge que les yeux. Son cou avance très légèrement. Il guette. Il dit, ce que font les gens, ce qu’ils inventent, c’est à n’y pas croire. Si quelqu’un racontait, sûr et certain que ça ferait un roman. Seulement, hein, pas question de raconter. Il dit, ce métier, monsieur, c’est les trois singes : rien vu, rien entendu, rien dit.

Il sourit. Il cligne de l’oeil. Sur son sweat shirt, on voit écrit, en grosses lettres, Welcome. Dans le hall d’accueil de l’hôtel, c’est le silence.

Dans le hall d’accueil désert, Ahmed fait de petits rangements. Il n’y a pas grand-chose à ranger sur le comptoir. Un cendrier de céramique, une lampe montée sur un magnum de champagne, un petit paquet de cartes publicitaires pour l’hôtel, une sonnette mécanique, un présentoir de dépliants touristiques, un journal, quelques revues.

En manipulant ces objets, il dit qu’on voit de tout dans un hôtel. Même dans un établissement aussi modeste que celui-ci. Il dit que le plus incroyable ce n’est pas cette manie qu’ont les clients de voler tout ce qui peut se voler, les savonnettes les serviettes de bain les oreillers les lampes les draps. Ni de salir les lieux comme on ne peut pas se le figurer tant qu’on ne l’a pas vu. Ni de faire du boucan en plein milieu de la nuit ni de trouver le moyen de protester pour un rien et de réclamer tout et n’importe quoi. Ni même d’attendre d’être à l’hôtel pour avoir les ennuis les problèmes les accidents les surprises, comme cette fille qui l’autre année avait accouché dans une chambre là-haut.

Et bien d’autres histoires, dit Ahmed. Qu’il pourrait raconter s’il voulait. Et qui ne sont pas ce qu’il y a de plus extraordinaire. Le plus étonnant, dit Ahmed, c’est les gens.

Il déplace les objets sur le comptoir. Ce sont des déplacements de quelques centimètres. Tout a bougé et rien n’a changé. Ahmed prend du recul pour considérer son ouvrage.

Il dit que pas plus tard que tout à l’heure il vient d’entendre un type jouer du violon dans une des chambres. Il dit, vous voyez, les gens. Il hausse les épaules. Il dit qu’une chaleur pareille, en pleine nuit, ça étouffe.

Fil de fer, la vie
Roman-par-nouvelles
Gallimard (Page Blanche)
1993

Totem Télérama/Salon de Montreuil

– Sept fois deux nouvelles, qui vont par paire. Si le fil conducteur semble anodin – la vie d’Henri, un enfant comme les autres-, les autres récits ne le sont pas. Ils évoquent des situations extrêmes, celles d’enfants en détresse, confrontés à l’abandon, à la violence, à l’inacceptable –

 » J’aime bien écrire en adoptant le point de vue d’un enfant sur le monde qui l’entoure. Ça permet de travailler un ton doux-amer, du genre sourire au milieu des larmes. Parce que l’enfance, ‘cest comme ça : un grand gâteau de chagrin au sucre. Ça a ce goût-là. »
Jean-Noël Blanc

 » Jean-Noël Blanc est un gourmand de mots. Il en joue sur le mode de la tendresse et de l’humour, avec une pointe de dérision pour que ça fasse moins mal. « 

Yvette Granger, Le Progrès.

 » Un roman qui serre de si près la vie des autres que le moindre mot peut faire mal. « 

L’humanité dimanche.

Galipettes arithmétiques choisies
textes brefs, Le Dilettante
1993

Les chiffres ne se chiffrent pas, tant ils sont illimités, innombrables. Mais certains nombres comptent pour nous, alors on les retient demblée : 1515, 33, 007. Pour tous ceux-là, l’auteur a concocté de petites saynètes

 » Il sait mieux que quiconque aujourdhui, conjuguer l’enfance et les mots, la tendresse et l’humour « 

Yvette Granger, La Tribune Le Progrès


En dépit du corset qu’elle porte trop ajusté, elle s’épanouit, la bouchère (ou charcutière, peut être). Pardi, l’étranglement de sa taille, en faisant déborder sa poitrine et rebondir ses hanches, donne à ses formes une générosité qui réjouit l’oeil.

Trop grand. Il ne tient pas dans le cadre. De lui, on n’aperçoit que la moitié inférieure : d’interminables abattis.

On devine la posture, malgré tout. Debout, les fesses au mur, une jambe pliée, le pied au niveau du genou de l’autre jambe, laquelle s’éloigne du mur pour assurer l’équilibre, il roule une cigarette. Ou joue de l’harmonica. Ou sifflote. Ou, les mains aux poches, lorgne les filles. Ou attend que passe le temps.

On a toute liberté d’imaginer ce que trafique cette espèce de géant désoeuvré.

Tout de même, on se demande.

Un seul pied, et si peu accroché au sol.

Avec ça, le nez en l’air.

Pas les pieds sur terre, la tête dans les nuages : tout l’homme.

Esperluette et compagnie
roman-par-nouvelles, Seghers
1991

Prix Charles Exbrayat

Prix de la Nouvelle du Mans

 » Les petits bouts de vie, petits bouts de récits, morceaux d’existences que Jean-Noël Blanc recolle avec des mots perdus, oubliés, retrouvés « 

Alain Salles, Le Monde

 » Un texte superbe dhumour tendre et de tristesse contenue […] un livre de très haute qualité, alerte et poignant, à l’image d’un style qui s’affirme à chaque fois avec une netteté croissante « .

Jean-Claude Lebrun, Révolution

Penalty
Nouvelle illustrée, Dumerchez
1990

Publiée dans Esperluette et compagnie, Seghers, 1991

– Un enfant regarde son grand-père, dans une chambre dhôpital ; ils se disent l’essentiel, pleins de pudeur et d émotion… –

 » Une extraordinaire histoire d’amour, de complicité, entre un vieillard et son petit-fils « 

Le Progrès

Jeu sans ballon
Roman, Seuil
1996

Quatre-vingt-dix séquences, ainsi que quinze séquences médianes, correspondant aux quatre-vingt-dix minutes d’un match de foot, plus les arrêts de jeu : retransmission des tensions, des craintes, des enthousiasmes, des bonheurs, des détresses, des espoirs, de ceux qui sont assis sur le banc des remplaçants pendant une finale européenne de la Coupe des Coupes. Un jeu sans ballon.

 » Jean-Noël Blanc fait partie de ces écrivains discrets, dont les amateurs de littérature citent fréquemment le nom. Ses livres se présentent en effet toujours comme des petits bijoux de langue. Jeu sans ballon ne déroge pas à cette excellente habitude. « 

Jean-Claude Lebrun, L’humanité

 » Un tendre et lumineux livre que l’on doit à la vista du Stéphanois Jean-Noël Blanc […] Voilà un bel écrivain doté d’un style carioca, qui sait tricoter la phrase, contrôler du gauche, feinter du droit, ratisser large, surtout dans la malle à souvenirs, manier un style incisif et chaloupé, vif et frais. Un caviar « 

Patrice Delbourg, l’Evènement du Jeudi

La légende des cycles
Récits, Quorum éd. (Belgique)
1996

 » Le souffle de Vialatte passe sur cette prose qui nest pas uniquement réservée au bonheur dêtre à bicyclette « 

Daniel Martin, La Montagne dimanche

 » Un livre plaisant et drôle […]. C’est presque de la vélosophie. […] Ce cycliste-là est aussi un philosophe »

Ouest France

 » Après une lecture, une seule solution : monter en selle pour goûter aux plaisirs si bien décrits « 

Vers l’avenir, Namur

 » Cest une déclaration d’amour au vélo […] dont le lyrisme confine à la poésie et au miracle « 

La Tribune, Saint-Etienne

 » Un humour bienveillant […] des accès de verve et de lyrisme « 

Le peuple, Charleroi

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Bouchardeau, Huguette

Née le 1er juin 1935 à Saint-Etienne, dun père ouvrier et dune mère sténodactylo, grandit dans une famille de six enfants. Elle épouse le 25 mai 1955 Marc Bouchardeau, psychologue. Ils auront trois enfants : François, Florence et Marianne.

Huguette Bouchardeau est universitaire, femme politique et écrivain. Elle est aussi membre de la commission Fauroux et ancien ministre de l’Environnement. Elle vient de créer sa maison dédition H.B. Editions.

Etudes : Université de Lyon. Dipl. : Agrégation de philosophie, Thèse du 3e cycle de sciences de l’éducation. Carr. : Enseignante au Lycée Honoré d’Urfé (1961-70), Maître de conférences en sciences de l’éducation à luniversité de Lyon (1970), Fondatrice de la collection Mémoires des femmes aux Editions Syros (1978), Secrétaire générale du PSU (1979), Candidate non élue à la Présidence de la République (avril 1981), Secrétaire d’Etat auprès du Premier Ministre, chargée de l’environnement et de la qualité de la vie (1983-84), Député (apparenté socialiste) du Doubs (4e circ.) (1986-93), Ancienne présidente de la section française de l’Entente européenne pour l’Environnement (EEE) (1988) et d’Eau vive (association d’aide au Tiers-Monde (1991)…

IN : Who’s who, 1995-1996.

Bibliographie :

* Pas d’histoires, les femmes…, Syros -, 1977

Un coin dans leur monde, Syros, 1980

Tout le possible, Syros -, 1981

Choses dites de profil, Ramsay, 1988

* George Sand : la lune et les sabots, Laffont, 1990

* Rose Noël, Seghers – Mémoire vive, 1990

* La grande verrière, Payot -, 1991

George Sand, Pocket, 1991

* Carnets de Prague, Seghers, 1992

* Le Déjeuner, François Bourin, 1993

La famille Renoir, Calmann-Levy, 1994

* Les Roches Rouges : portrait dun père, Ecriture, 1996.

*= à la Médiathèque

Après la politique, l’édition

 » La politique mène à tout à condition d’en sortir ! Ce pourrait être la formule dHuguette Bouchardeau. […] Auteur dune dizaine douvrages, notamment sur la condition féminine, elle fait ses premiers pas dans lédition en 1978, chez Syros, à la tête de la collection  » Paroles de femmes « . En 1993, elle laisse à dautres la charge de député et part savourer avec son époux le calme dAigues-Vives, village du Gard dont elle est le maire.

Puis,  » à 60 ans, jai eu envie dune dernière saison dactivités. Je ne me voyais pas à la retraite ! Je rêvais depuis quatre ou cinq ans de monter ma maison dédition. Alors, avec mes trois sous déconomies, je me suis lancée dans laventure !  » Son désir :  » Publier des nouvelles ou des textes courts. Des textes vrais avant tout, qui donnent envie de lire !  » Avec La terre des folles, de Laurence Cossé, et Contes pour rêver, de Gérard Sire, premiers-nés de sa jeune maison dédition, pari tenu. « 

France Mosconi, Notre temps, sept. 96

A publié :

Daniel Arsand – Roland Bechmann – Jean-Noël Blanc – Jean-Pierre Cabanes – François de Cornière – Laurence Cossé – Bruno Daudin – Jacques Fulgence – Jean Grégor – Monique Jouvancy – Muriel Ledoux – Annie Mignard – Roland Perrot – Marc le Piouff – Cécile Planez – Bernard Saxel – Gabrielle Seyssiecq – Jackie Simon – Gérard Sire.

________________________ Les roches rouges : portrait dun père

Ecriture, 1996

 » Le dernier livre dHuguette Bourchardeau est une confession à retardement, un cri damour pour un père trop vite disparu.

«  Maman était de lait, il était dépices « . En 1990, lessayiste et la biographe (George Sand, Simone Weil) avait consacré un récit à sa mère : Rose Noël. Comme elle lexplique elle-même, «  tout bienfait accordé à lun devait trouver son équivalent pour les autres « . Néammoins, la figure paternelle reste opaque. Huguette Bouchardeau connaissait plus intimement sa mère. Lexistence de son père revêt des zones dombre. Le passé de sa famille demeure flou. A-t-il réellement appartenu au parti communiste ? Où partait-il durant trois ou quatre heures, un jour de congé ? A limage initiale de lhonnête gérant dune épicerie de banlieue stéphanoise de laprès-guerre succède une silhouette traversée par les ravages de son époque, de son âge. La vieillesse accentue le fossé entre les deux époux. Rose demeure stoïque à tel point quon peut se demander si Huguette Bouchardeau ne la magnifie pas trop .

Les Roches rouges est également un livre à plusieurs voix. Lauteur recueille les témoignages de ses frères et de ses soeurs. Chacun apporte sa touche particulière, essaye de comprendre pourquoi certains êtres se séparent et dautres arrivent à surmonter les plus terribles orages : «  Aux hommes, la fragilité est interdite ; il leur faut adopter des postures en trompe-loeil, de la bravoure en parade. « 

La destinée de Marius Briaut nest pas exemplaire. Elle se confond, dans son apparente banalité, avec celles de milliers dautres. Seulement, derrière la sécheresse des faits, Bouchardeau nous laisse entendre le battement de coeur dun homme qui a aimé, pleuré et souffert. Tout simplement son père. « 

Franck Cormerais, Magazine littéraire ; 349. Déc. 96.

« Qu’aimons-nous donc tant dans ces images de parents qui nous remontent de l’enfance ? L’enfance elle-même et la grâce de ses liens fragiles ou, réellement, ce père, cette mère qui incarnèrent les premiers liens ?  » Pour faire le portrait de son père, Huguette Bouchardeau convoque des souvenirs anciens et éparpillés : les siens, mais également ceux de ses cinq frères et soeurs. Autant de mémoires subjectives, différentes et parfois proches, qui dessinent un personnage complexe et attachant : un homme sans racines qui restera toujours pour ses enfants un étranger mystérieux et séduisant qui aimait l’élégance, la musique, les encyclopédies, les pique-niques en famille et les roches rouges de l’Estérel. «  Un homme du peuple qui aurait voulu si fort, pourtant, accéder à l’aristocratie des mots et des choses « , un homme qui désirait une vie courte et belle. Courte, elle le fut. Heureuse, personne ne peut le dire, et c’est toute la douleur du récit de sa fille. « 

Isabelle Lortholary, Elle

Rose Noël

Seghers, 1990

Dans un texte empreint de délicatesse, Huguette Bouchardeau retrace ici, à travers ses souvenirs de petite fille, de jeune fille, la figure et le parcours de sa mère : rosière à Saint-Etienne, sténodactylo à Manufrance et au Casino, Rose a connu les entreprises qui embauchaient les femmes pendant que les hommes postaient à la mine. Puis son mari, dynamique et débrouillard, prit la gérance d’un magasin Géry – alors grand rival de Casino – devant la vitrine duquel le couple se faisait photographier chaque année, de plus en plus entouré d’enfants. Maintenant, Rose, divorcée, après trente-cinq ans de mariage, vit seule sa vieillesse. Les six enfants s’efforcent d’être là, plus protecteurs que protégés : « Pourquoi faut-il que nous redevenions petits ? » s’interroge Huguette Bouchardeau, au terme de son parcours.

Un jour – j’étais enfant -, je découvris que les femmes mariées perdaient leur nom, ou en gagnaient un autre. J’appris en même temps le nom de fleur qu’avait porté ma mère.

Son prénom était Rose, son patronyme Noël… Elle était née dans la forêt vosgienne, au milieu des sapins… Au col du Bonhomme. Son anniversaire tombait un jour de juin… J’eus du mal à en retenir la date, tellement son nom de jeune fille, les arbres de ses montagnes, le personnage mystérieux que j’imaginais officiant à son baptême suggéraient des fêtes anciennes, des légendes enneigées, l’attente éblouissante de décembre.

Pourtant, elle n’appréciait guère le clinquant des nativités de l’après-guerre. Elle nous rappelait souvent que les cadeaux – deux ou trois bonbons, une pomme, quelques noix – se distribuaient à la Saint-Nicolas, dans les pantoufles de chiffon ou les bas tricotés quand elle était petite, en pays de tradition germanique.

Elle n’aimait guère non plus qu’on évoquât, à propos de son nom, la fleur qui s’épanouit à contre-saison : la rose de Noël. Elle en connaissait l’appellation savante d’ellébore. Aux premières années de nos classes, quand nous découvrions le fonds commun de la culture française, elle nous faisait réciter les plus connues des fables de La Fontaine : sans jamais manquer de nous arrêter un instant sur la moquerie du lièvre à la tortue :  » Ma commère, il faut vous purger, avec quelques grains d’ellébore…  » A chacun de nous six, mes frères et soeurs et moi, ma mère un jour a demandé, levant un peu le sourcil droit, pinçant les lèvres avec la mimique de quelqu’un qui possède un secret :  » Ellébore, tu sais ce que c’est ? « , et comme nous répondions invariablement que nous ne savions pas – soit que c’était vrai, soit que nous devinions son plaisir à nous l’apprendre, à nous le répéter -, elle annonçait alors :  » Ellébore, c’est moi… rose de Noël.  » Et elle riait… elle riait sans bruit de ses bêtas d’enfants qui avaient oublié son nom d’autrefois, de cette progéniture ignorante des mots.

Avec sa culture appliquée des classes de certificat d’études, ma mère savait des mots… des brassées de définitions du dictionnaire. Mais à peine avait-elle évoqué la plante guérisseuse qu’elle se récriait : qu’on ne lui en offrît surtout pas ! Dans un autre registre de ses connaissances, celui des dictons, des croyances superstitieuses, la  » rose de Noël  » portait malheur…

Fleur trop rare qu’elle avait tenté en vain d’acclimater dans un coin du jardin, vénéneuse, jamais franchement rose, ni blanche ni verte, couleur de peau malsaine (le dictionnaire l’appelait encore  » vératre « ). Ma mère, elle, était toute douce, toute laiteuse,  » peau de bébé « , lui dirions-nous plus tard, bien plus tard, en la câlinant…

Mon père s’appelait Marius Briaut. Un drôle de prénom… Pagnol ne l’avait pas encore associé à l’accent marseillais ; Marius, Claudius, Petrus, tous ces vocables à la romaine fleurirent à la fin du XIXe siècle et au début du XXe dans la région stéphanoise. L’école de Jules Ferry jouait un grand rôle dans la ville industrieuse. Les  » amicales laïques « , leurs cafés, leurs jeux de boules, leurs salles de spectacle servaient de centres d’animation dans les quartiers. La culture ouvrière se cherchait des racines hors des références chrétiennes. La Rome de l’Empire comme antidote du Vatican . Les travailleurs de la mine et de l’industrie formaient des rangs nombreux à l’anarcho-syndicalisme du début du siècle. Mon père en était issu. Allons donc pour Marius!

La mère de Marius était morte toute jeune, tuberculeuse. Le père s’était remarié sur le tard avec une femme que Rose se refusait obstinément à recevoir, laissant entendre qu’elle lui faisait honte. Faisant remonter sa vindicte au grand-père lui-même, maman insinuait qu’après tout il n’était peut-être pas le père de Marius .

Bref, nous ne connûmes vraiment de la famille de mon père qu’une cousine âgée, concierge dans le centre de Saint-Etienne, et une tante éloignée qui, remariée avec un tisseur de Panissières (une petite ville des côteaux proches de Roanne), se lia avec ma mère et vint souvent en visite à la maison. Elle était élégante, se promenait avec un caniche, et le couple possédait une voiture.

 » Mais pas d’enfant!  » soupirait cette tante Léonie sans que nous sachions bien si les soupirs étaient de soulagement ou de regret.

Marius connut la vie des gamins du monde ouvrier. École publique jusqu’à douze ans. Enfant unique, orphelin très tôt.  » Une tête « , disait son instituteur qui admirait ses capacités en calcul mental. Il entra au travail dans une épicerie en gros, la  » Coop  » , comme on disait. Il ne quitterait jamais le commerce dont il exerça tous les métiers, montant en grade à force d’acharnement et à coups de démonstrations ingénieuses.

Quand il rencontra Rose, il n’avait que dix-huit ans. Il l’épousa l’année suivante.

Je dis :  » La douceur de la peau « , et Rose Noël est là. Elle ne caressait pas. Elle ne cajolait pas. Elle ne câlinait que les bébés. Nous lui volions cette douceur. Nous cherchions les plis tendres entre oreille et épaule. Nous lissions longuement ses cheveux trop fins, trop rares, flous comme mousse. Nous jouions avec les fossettes qui se dessinaient dans le potelé du bras, au-dessus du coude. Sous la nuque, un grain de beauté charnu pointait : sa mère avait eu le même, nous en avons tous hérité. Montés sur un petit banc, derrière elle, nous nous amusions à presser sur ce minuscule bouton :  » Drin, drin… Vous êtes là, madame Briaut ?  » Elle se taisait, puis brusquement, affectant la colère, elle se retournait vers le fautif :  » Vilain curieux qui frappe à ma porte.  » Et de rire…

Elle ne nous bordait pas le soir. Elle ne nous racontait pas d’histoires pour nous endormir.

On ne doit pas gâter les enfants. On doit ignorer leur peur du noir. D’ailleurs, petits, nous couchions à deux ou trois par lit ; et il fallait plutôt calmer nos sarabandes. Mais, que l’un de nous tombe malade, elle déployait des trésors.

Réchauffant, recouvrant, rafraîchissant.

Une mère tout en rondeurs dont la tendresse se méritait. Une mère-cocon faisant la brave à se moquer des sentiments.

« Quand tu seras petite et que je serai grande…  » Nous l’avons tous dit à nos mères. Nous avons souri quand la génération suivante réinventait le mot. Je ne savais pas sa redoutable vérité.

Rose s’est faite toute petite. Dans le creux des beaux oreillers bleus offerts par Noëlle, elle me regarde avec insistance. Je m’assieds près du lit pour parler de ce livre. Je prends ses mains dans les miennes. Peau douce… Les mains sont devenues satinées, la bague de saphir –  » Ton père m’en a fait cadeau à ta naissance ; elle sera à toi un jour  » – glisse sur le doigt amaigri. Elle répond à mes questions. Elle soulève un peu la tête pour apercevoir les photos que j’ai étalées devant elle. Elle voudrait parler, parler, elle qui fut tellement silencieuse. Elle rassemble sans peine ses souvenirs, rectifie un nom, corrige une date. Mais l’effort assèche ses lèvres, et je dois lui tendre sans cesse un verre d’eau. Des larmes perlent au bord des paupières. Elle qui pleurait pour un rien s’excuse :  » Ce n’est pas comme avant ; c’est mes yeux. . . Ils fatiguent.  » Je la soutiendrai tout à l’heure pour l’installer à sa table : elle touchera à peine aux nourritures préparées par Odile. Et reviendra vite à son li veillant à garder à sa portée la télécommande de sa télévision, l’appareil téléphonique, tout ce qui la relie au monde.

Quand je lui annonce mon départ, c’est elle qui retient mon poignet. Qui tourne avec peine la tête vers la porte. J’ai la gorge si nouée que le chauffeur de taxi me fait répéter l’adresse que je lui donne .

Pourquoi faut-il que nous redevenions petits ?

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