Bouchardeau, Huguette

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Née le 1er juin 1935 à Saint-Etienne, dun père ouvrier et dune mère sténodactylo, grandit dans une famille de six enfants. Elle épouse le 25 mai 1955 Marc Bouchardeau, psychologue. Ils auront trois enfants : François, Florence et Marianne.

Huguette Bouchardeau est universitaire, femme politique et écrivain. Elle est aussi membre de la commission Fauroux et ancien ministre de l’Environnement. Elle vient de créer sa maison dédition H.B. Editions.

Etudes : Université de Lyon. Dipl. : Agrégation de philosophie, Thèse du 3e cycle de sciences de l’éducation. Carr. : Enseignante au Lycée Honoré d’Urfé (1961-70), Maître de conférences en sciences de l’éducation à luniversité de Lyon (1970), Fondatrice de la collection Mémoires des femmes aux Editions Syros (1978), Secrétaire générale du PSU (1979), Candidate non élue à la Présidence de la République (avril 1981), Secrétaire d’Etat auprès du Premier Ministre, chargée de l’environnement et de la qualité de la vie (1983-84), Député (apparenté socialiste) du Doubs (4e circ.) (1986-93), Ancienne présidente de la section française de l’Entente européenne pour l’Environnement (EEE) (1988) et d’Eau vive (association d’aide au Tiers-Monde (1991)…

IN : Who’s who, 1995-1996.

Bibliographie :

* Pas d’histoires, les femmes…, Syros -, 1977

Un coin dans leur monde, Syros, 1980

Tout le possible, Syros -, 1981

Choses dites de profil, Ramsay, 1988

* George Sand : la lune et les sabots, Laffont, 1990

* Rose Noël, Seghers – Mémoire vive, 1990

* La grande verrière, Payot -, 1991

George Sand, Pocket, 1991

* Carnets de Prague, Seghers, 1992

* Le Déjeuner, François Bourin, 1993

La famille Renoir, Calmann-Levy, 1994

* Les Roches Rouges : portrait dun père, Ecriture, 1996.

*= à la Médiathèque

Après la politique, l’édition

 » La politique mène à tout à condition d’en sortir ! Ce pourrait être la formule dHuguette Bouchardeau. […] Auteur dune dizaine douvrages, notamment sur la condition féminine, elle fait ses premiers pas dans lédition en 1978, chez Syros, à la tête de la collection  » Paroles de femmes « . En 1993, elle laisse à dautres la charge de député et part savourer avec son époux le calme dAigues-Vives, village du Gard dont elle est le maire.

Puis,  » à 60 ans, jai eu envie dune dernière saison dactivités. Je ne me voyais pas à la retraite ! Je rêvais depuis quatre ou cinq ans de monter ma maison dédition. Alors, avec mes trois sous déconomies, je me suis lancée dans laventure !  » Son désir :  » Publier des nouvelles ou des textes courts. Des textes vrais avant tout, qui donnent envie de lire !  » Avec La terre des folles, de Laurence Cossé, et Contes pour rêver, de Gérard Sire, premiers-nés de sa jeune maison dédition, pari tenu. « 

France Mosconi, Notre temps, sept. 96

A publié :

Daniel Arsand – Roland Bechmann – Jean-Noël Blanc – Jean-Pierre Cabanes – François de Cornière – Laurence Cossé – Bruno Daudin – Jacques Fulgence – Jean Grégor – Monique Jouvancy – Muriel Ledoux – Annie Mignard – Roland Perrot – Marc le Piouff – Cécile Planez – Bernard Saxel – Gabrielle Seyssiecq – Jackie Simon – Gérard Sire.

________________________ Les roches rouges : portrait dun père

Ecriture, 1996

 » Le dernier livre dHuguette Bourchardeau est une confession à retardement, un cri damour pour un père trop vite disparu.

«  Maman était de lait, il était dépices « . En 1990, lessayiste et la biographe (George Sand, Simone Weil) avait consacré un récit à sa mère : Rose Noël. Comme elle lexplique elle-même, «  tout bienfait accordé à lun devait trouver son équivalent pour les autres « . Néammoins, la figure paternelle reste opaque. Huguette Bouchardeau connaissait plus intimement sa mère. Lexistence de son père revêt des zones dombre. Le passé de sa famille demeure flou. A-t-il réellement appartenu au parti communiste ? Où partait-il durant trois ou quatre heures, un jour de congé ? A limage initiale de lhonnête gérant dune épicerie de banlieue stéphanoise de laprès-guerre succède une silhouette traversée par les ravages de son époque, de son âge. La vieillesse accentue le fossé entre les deux époux. Rose demeure stoïque à tel point quon peut se demander si Huguette Bouchardeau ne la magnifie pas trop .

Les Roches rouges est également un livre à plusieurs voix. Lauteur recueille les témoignages de ses frères et de ses soeurs. Chacun apporte sa touche particulière, essaye de comprendre pourquoi certains êtres se séparent et dautres arrivent à surmonter les plus terribles orages : «  Aux hommes, la fragilité est interdite ; il leur faut adopter des postures en trompe-loeil, de la bravoure en parade. « 

La destinée de Marius Briaut nest pas exemplaire. Elle se confond, dans son apparente banalité, avec celles de milliers dautres. Seulement, derrière la sécheresse des faits, Bouchardeau nous laisse entendre le battement de coeur dun homme qui a aimé, pleuré et souffert. Tout simplement son père. « 

Franck Cormerais, Magazine littéraire ; 349. Déc. 96.

« Qu’aimons-nous donc tant dans ces images de parents qui nous remontent de l’enfance ? L’enfance elle-même et la grâce de ses liens fragiles ou, réellement, ce père, cette mère qui incarnèrent les premiers liens ?  » Pour faire le portrait de son père, Huguette Bouchardeau convoque des souvenirs anciens et éparpillés : les siens, mais également ceux de ses cinq frères et soeurs. Autant de mémoires subjectives, différentes et parfois proches, qui dessinent un personnage complexe et attachant : un homme sans racines qui restera toujours pour ses enfants un étranger mystérieux et séduisant qui aimait l’élégance, la musique, les encyclopédies, les pique-niques en famille et les roches rouges de l’Estérel. «  Un homme du peuple qui aurait voulu si fort, pourtant, accéder à l’aristocratie des mots et des choses « , un homme qui désirait une vie courte et belle. Courte, elle le fut. Heureuse, personne ne peut le dire, et c’est toute la douleur du récit de sa fille. « 

Isabelle Lortholary, Elle

Rose Noël

Seghers, 1990

Dans un texte empreint de délicatesse, Huguette Bouchardeau retrace ici, à travers ses souvenirs de petite fille, de jeune fille, la figure et le parcours de sa mère : rosière à Saint-Etienne, sténodactylo à Manufrance et au Casino, Rose a connu les entreprises qui embauchaient les femmes pendant que les hommes postaient à la mine. Puis son mari, dynamique et débrouillard, prit la gérance d’un magasin Géry – alors grand rival de Casino – devant la vitrine duquel le couple se faisait photographier chaque année, de plus en plus entouré d’enfants. Maintenant, Rose, divorcée, après trente-cinq ans de mariage, vit seule sa vieillesse. Les six enfants s’efforcent d’être là, plus protecteurs que protégés : « Pourquoi faut-il que nous redevenions petits ? » s’interroge Huguette Bouchardeau, au terme de son parcours.

Un jour – j’étais enfant -, je découvris que les femmes mariées perdaient leur nom, ou en gagnaient un autre. J’appris en même temps le nom de fleur qu’avait porté ma mère.

Son prénom était Rose, son patronyme Noël… Elle était née dans la forêt vosgienne, au milieu des sapins… Au col du Bonhomme. Son anniversaire tombait un jour de juin… J’eus du mal à en retenir la date, tellement son nom de jeune fille, les arbres de ses montagnes, le personnage mystérieux que j’imaginais officiant à son baptême suggéraient des fêtes anciennes, des légendes enneigées, l’attente éblouissante de décembre.

Pourtant, elle n’appréciait guère le clinquant des nativités de l’après-guerre. Elle nous rappelait souvent que les cadeaux – deux ou trois bonbons, une pomme, quelques noix – se distribuaient à la Saint-Nicolas, dans les pantoufles de chiffon ou les bas tricotés quand elle était petite, en pays de tradition germanique.

Elle n’aimait guère non plus qu’on évoquât, à propos de son nom, la fleur qui s’épanouit à contre-saison : la rose de Noël. Elle en connaissait l’appellation savante d’ellébore. Aux premières années de nos classes, quand nous découvrions le fonds commun de la culture française, elle nous faisait réciter les plus connues des fables de La Fontaine : sans jamais manquer de nous arrêter un instant sur la moquerie du lièvre à la tortue :  » Ma commère, il faut vous purger, avec quelques grains d’ellébore…  » A chacun de nous six, mes frères et soeurs et moi, ma mère un jour a demandé, levant un peu le sourcil droit, pinçant les lèvres avec la mimique de quelqu’un qui possède un secret :  » Ellébore, tu sais ce que c’est ? « , et comme nous répondions invariablement que nous ne savions pas – soit que c’était vrai, soit que nous devinions son plaisir à nous l’apprendre, à nous le répéter -, elle annonçait alors :  » Ellébore, c’est moi… rose de Noël.  » Et elle riait… elle riait sans bruit de ses bêtas d’enfants qui avaient oublié son nom d’autrefois, de cette progéniture ignorante des mots.

Avec sa culture appliquée des classes de certificat d’études, ma mère savait des mots… des brassées de définitions du dictionnaire. Mais à peine avait-elle évoqué la plante guérisseuse qu’elle se récriait : qu’on ne lui en offrît surtout pas ! Dans un autre registre de ses connaissances, celui des dictons, des croyances superstitieuses, la  » rose de Noël  » portait malheur…

Fleur trop rare qu’elle avait tenté en vain d’acclimater dans un coin du jardin, vénéneuse, jamais franchement rose, ni blanche ni verte, couleur de peau malsaine (le dictionnaire l’appelait encore  » vératre « ). Ma mère, elle, était toute douce, toute laiteuse,  » peau de bébé « , lui dirions-nous plus tard, bien plus tard, en la câlinant…

Mon père s’appelait Marius Briaut. Un drôle de prénom… Pagnol ne l’avait pas encore associé à l’accent marseillais ; Marius, Claudius, Petrus, tous ces vocables à la romaine fleurirent à la fin du XIXe siècle et au début du XXe dans la région stéphanoise. L’école de Jules Ferry jouait un grand rôle dans la ville industrieuse. Les  » amicales laïques « , leurs cafés, leurs jeux de boules, leurs salles de spectacle servaient de centres d’animation dans les quartiers. La culture ouvrière se cherchait des racines hors des références chrétiennes. La Rome de l’Empire comme antidote du Vatican . Les travailleurs de la mine et de l’industrie formaient des rangs nombreux à l’anarcho-syndicalisme du début du siècle. Mon père en était issu. Allons donc pour Marius!

La mère de Marius était morte toute jeune, tuberculeuse. Le père s’était remarié sur le tard avec une femme que Rose se refusait obstinément à recevoir, laissant entendre qu’elle lui faisait honte. Faisant remonter sa vindicte au grand-père lui-même, maman insinuait qu’après tout il n’était peut-être pas le père de Marius .

Bref, nous ne connûmes vraiment de la famille de mon père qu’une cousine âgée, concierge dans le centre de Saint-Etienne, et une tante éloignée qui, remariée avec un tisseur de Panissières (une petite ville des côteaux proches de Roanne), se lia avec ma mère et vint souvent en visite à la maison. Elle était élégante, se promenait avec un caniche, et le couple possédait une voiture.

 » Mais pas d’enfant!  » soupirait cette tante Léonie sans que nous sachions bien si les soupirs étaient de soulagement ou de regret.

Marius connut la vie des gamins du monde ouvrier. École publique jusqu’à douze ans. Enfant unique, orphelin très tôt.  » Une tête « , disait son instituteur qui admirait ses capacités en calcul mental. Il entra au travail dans une épicerie en gros, la  » Coop  » , comme on disait. Il ne quitterait jamais le commerce dont il exerça tous les métiers, montant en grade à force d’acharnement et à coups de démonstrations ingénieuses.

Quand il rencontra Rose, il n’avait que dix-huit ans. Il l’épousa l’année suivante.

Je dis :  » La douceur de la peau « , et Rose Noël est là. Elle ne caressait pas. Elle ne cajolait pas. Elle ne câlinait que les bébés. Nous lui volions cette douceur. Nous cherchions les plis tendres entre oreille et épaule. Nous lissions longuement ses cheveux trop fins, trop rares, flous comme mousse. Nous jouions avec les fossettes qui se dessinaient dans le potelé du bras, au-dessus du coude. Sous la nuque, un grain de beauté charnu pointait : sa mère avait eu le même, nous en avons tous hérité. Montés sur un petit banc, derrière elle, nous nous amusions à presser sur ce minuscule bouton :  » Drin, drin… Vous êtes là, madame Briaut ?  » Elle se taisait, puis brusquement, affectant la colère, elle se retournait vers le fautif :  » Vilain curieux qui frappe à ma porte.  » Et de rire…

Elle ne nous bordait pas le soir. Elle ne nous racontait pas d’histoires pour nous endormir.

On ne doit pas gâter les enfants. On doit ignorer leur peur du noir. D’ailleurs, petits, nous couchions à deux ou trois par lit ; et il fallait plutôt calmer nos sarabandes. Mais, que l’un de nous tombe malade, elle déployait des trésors.

Réchauffant, recouvrant, rafraîchissant.

Une mère tout en rondeurs dont la tendresse se méritait. Une mère-cocon faisant la brave à se moquer des sentiments.

« Quand tu seras petite et que je serai grande…  » Nous l’avons tous dit à nos mères. Nous avons souri quand la génération suivante réinventait le mot. Je ne savais pas sa redoutable vérité.

Rose s’est faite toute petite. Dans le creux des beaux oreillers bleus offerts par Noëlle, elle me regarde avec insistance. Je m’assieds près du lit pour parler de ce livre. Je prends ses mains dans les miennes. Peau douce… Les mains sont devenues satinées, la bague de saphir –  » Ton père m’en a fait cadeau à ta naissance ; elle sera à toi un jour  » – glisse sur le doigt amaigri. Elle répond à mes questions. Elle soulève un peu la tête pour apercevoir les photos que j’ai étalées devant elle. Elle voudrait parler, parler, elle qui fut tellement silencieuse. Elle rassemble sans peine ses souvenirs, rectifie un nom, corrige une date. Mais l’effort assèche ses lèvres, et je dois lui tendre sans cesse un verre d’eau. Des larmes perlent au bord des paupières. Elle qui pleurait pour un rien s’excuse :  » Ce n’est pas comme avant ; c’est mes yeux. . . Ils fatiguent.  » Je la soutiendrai tout à l’heure pour l’installer à sa table : elle touchera à peine aux nourritures préparées par Odile. Et reviendra vite à son li veillant à garder à sa portée la télécommande de sa télévision, l’appareil téléphonique, tout ce qui la relie au monde.

Quand je lui annonce mon départ, c’est elle qui retient mon poignet. Qui tourne avec peine la tête vers la porte. J’ai la gorge si nouée que le chauffeur de taxi me fait répéter l’adresse que je lui donne .

Pourquoi faut-il que nous redevenions petits ?

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